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et de plus lente, — grand avantage quand les passions sont soulevées; qu’on se souvienne du fameux procès de Warren Hastings!

Il est admis en principe que les lords abandonnent aux communes tout ce qui concerne les finances. La loi du budget n’est pas en réalité une loi ordinaire. L’impôt est un don volontaire que la nation se fait à elle-même; elle le livre au pouvoir exécutif et en règle l’emploi par l’organe de la chambre élective. C’est pour cela que les lords ne peuvent amender la loi du budget ; si on la leur envoie, si cette loi reçoit également l’assentiment de la couronne, c’est qu’on n’a pas voulu lui donner dans la forme un caractère exceptionnel. Au fond, les mandataires élus de la nation ont seuls droit de disposer des trésors de la nation. Les lords toutefois, s’ils ne peuvent amender les lois de finance, peuvent les rejeter, de même que le souverain peut opposer son veto à une loi quelconque.

Les pairs ne peuvent être traduits que devant la chambre des lords pour crime de trahison et de félonie ; pour les simples délits et les contraventions, ils sont passibles des tribunaux ordinaires. On ne peut pas dire qu’ils aient tel ou tel privilège; ils n’en ont en réalité qu’un, qui est la pairie; mais peut-on imaginer un privilège plus grand que le droit héréditaire à gouverner les hommes?

Tout se transforme en Angleterre ; comment la chambre des lords pourrait-elle se transformer? A plusieurs reprises, on a songé à la création de pairs à vie. Cette innovation n’a jamais trouvé grande faveur. Une chambre qui renfermerait deux catégories de pairs serait trop divisée si la lutte s’établissait entre elles, trop dépendante de la couronne si les pairs à vie l’emportaient; si ces derniers tombaient sous la dépendance des pairs héréditaires, elle ne gagnerait rien à ce triomphe de la naissance sur le talent, sur l’éloquence, sur les grands services rendus au pays. Les esprits les plus radicaux ne vont pas encore bien loin sur le chemin des réformes; ils voudraient qu’il y eût des pairs représentatifs d’Angleterre, comme il y a déjà des pairs représentatifs d’Ecosse et d’Irlande. Dans chaque comté anglais par exemple, on élirait, parmi tous les pairs héréditaires du comté, celui ou ceux qui rempliraient les fonctions législatives pendant un temps donné. On espère pouvoir rendre ainsi à la chambre des lords l’activité, la vie qui lui échappe. Ce problème de la chambre haute, qui est une des difficultés capitales du gouvernement parlementaire, ne se posera toutefois clairement devant le pays que quand la réforme électorale aura porté tous ses fruits. En ce moment, il n’y a pas encore de divorce véritable entre les communes et les lords.


A. LAUGEL.