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ques aux intérêts de son commerce[1]. » Comme une ventouse, il faut que le commerce tire au cœur anglais le sang du monde entier.

Au XVIIe siècle, on était extrêmement riche avec 20,000 liv. st. par an. C’était le revenu des trois ducs les plus opulens, Ormond, Buckingham, Albemarle. Le chiffre moyen du revenu pour un pair était de 3,000 livres, pour un membre des communes de 800 livres. Les ministres ne reculaient devant aucun moyen pour enfler leurs appointemens. La corruption parlementaire était sans vergogne. Les chanceliers, les lords de la trésorerie, les lords lieutenans d’Irlande faisaient des fortunes rapides. Titres, places, commissions, tout se vendait. Sous Jacques II, Sunderland, le président du conseil, recevait de Louis XIV une pension de 8,000 livres; d’Irlande, Tyrconnel lui envoyait des sommes énormes, le roi l’accablait de ses dons. Aujourd’hui il y a des bourgeois presque inconnus, dont le nom n’est jamais prononcé hors de la Cité, des grands ports, des districts manufacturiers, qui sont aussi riches, plus riches que les descendans des vieilles familles. Cependant il n’y a aucune hostilité entre la richesse héréditaire et la richesse des parvenus. La classe nobiliaire s’étend à mesure que grandit la fortune publique. Pitt à lui seul fit 140 pairs; il dédaignait trop les honneurs pour n’en être pas prodigue. La pairie, à son avis, convenait naturellement à la grande fortune : c’était une vanité ajoutée à d’autres vanités. Il n’y a pas aujourd’hui moins de 462 pairs qui ont droit de siéger à la chambre des lords; il n’y a pas de limite constitutionnelle à ce chiffre. Par les mariages, les alliances, l’aristocratie résorbe continuellement la richesse produite par le travail. Le tiers-état, qui ne se sent pas séparé de la noblesse par une insurmontable barrière, n’éprouve pour elle aucune haine : il y a une noblesse non qualifiée qui est toujours mêlée au tiers. Le parlement dès longtemps a été l’assemblée d’un ordre mixte formé de nobles et de marchands. Les gens de finance, de loi, de commerce, s’y trouvaient mêlés aux porteurs des noms les plus antiques. Le tiers ne devint point, comme en France, ennemi de l’aristocratie, car, celle-ci étant plus démocratique que dans notre pays, la démocratie y est devenue plus aristocratique.

Il n’y a pas encore en Angleterre de lutte ouverte entre l’aristocratie et la démocratie; l’histoire du pays est remplie des luttes entre l’aristocratie et la royauté. Le triomphe de l’aristocratie n’a été si durable et si glorieux que parce qu’il était une victoire contre la tyrannie. Sous les deux premiers George, les whigs défendent les droits de la maison de Hanovre; ces défenseurs sont en réalité des

  1. Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XX, chap. VII.