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les joies si courtes de la vie, ses triomphes si éphémères, auprès des bonheurs infinis, des consolations sans bornes de la foi qui s’oublie dans l’obéissance, et se laisse choir en quelque sorte dans les abîmes de l’espérance, du pardon, des richesses célestes? La foi écrase, brise les ressorts de l’ambition vulgaire, efface les pointes de l’envie, refroidit les instincts de l’animal humain. Quand un pays catholique adore la richesse, c’est le signe qu’il approche de la décadence.

Tout autre fut l’esprit de la réforme : le protestantisme est la religion de l’essor, et qui est capable de l’essor de la pensée le devient aisément de tous les efforts matériels. En rendant à la conscience toute liberté, le protestantisme lui donna le goût de la lutte; il dit à l’homme : Pense, agis. Ennemi de la mollesse, de la paresse, de l’effacement volontaire, il pousse l’homme dans la vie, non comme une victime, mais comme un combattant. Le royaume du Christ doit être fondé ici-bas; c’est tout de suite qu’une doctrine doit porter ses fruits. Les meilleurs, ceux qui possèdent la vérité, les saints, doivent être aussi les plus forts, les plus habiles, les plus heureux, disons crûment le mot, les plus riches. La pauvreté n’est que le signe de l’incurie. La conquête de la richesse indique un effort, une victoire de l’homme sur ses passions; elle suit l’économie, l’ordre, la règle. Les sociétés religieuses qui sont nées de la liberté ont une soif d’ordre qui va jusqu’à la tyrannie, et qui épouvante l’insouciance latine. Cette contradiction, qui n’est qu’apparente, a éclaté à Genève, en Écosse, en Angleterre, dans l’Allemagne du nord, aux États-Unis. Sitôt que l’homme construit lui-même sa foi, il devient plus âpre en toutes ses entreprises; la volonté suit toujours la puissance, et la puissance la volonté.

De bonne heure, on cessa donc en Angleterre de mépriser la richesse, on y vit non pas un danger, mais une protection; on se persuada que la liberté ne peut aller sans la richesse. Ce n’est point par un profond calcul politique que l’aristocratie anglaise s’assimile toutes les grandes richesses et s’attire toutes les supériorités. Elle ne fait que suivre l’instinct barbare, toujours vierge et ingénu; en face d’une force nouvelle, elle songe moins à la détruire qu’à s’en emparer. Elle aime naïvement le succès. L’esprit anglo-saxon est un aimant qui tourne toujours son pôle attractif vers la puissance, la fortune, le bonheur, le hasard même. Il élève tout ce qui s’élève, il fortifie tout ce qui est fort; il ne donne pas au destin d’inutiles démentis. Il entoure ses favoris d’admirations sans réserve, déifie ses héros, ne voit jamais de taches dans son soleil. Il a moins d’envie à la fois et moins de générosité que l’esprit latin; celui-ci console la faiblesse par la pitié et meurtrit la grandeur par l’ironie. Sa va-