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aux colonies lointaines, les oblige à l’action. Le travail reste ainsi chose noble : il n’est pas tout à fait nécessaire, comme en d’autres pays, pour être un homme du monde, de n’être rien. C’est une des surprises de l’étranger, que le droit d’aînesse, qui autrefois a eu des ennemis en Angleterre, n’en ait plus, au moins d’avoués. Sous l’empire des lois et des mœurs, la propriété foncière a conquis en Angleterre une solidité qu’elle n’a peut-être en aucune autre partie du monde civilisé. Loin de se diviser, elle se concentre dans un nombre de mains qui décroît toujours.

Les lois d’Henry VIII s’élevaient contre ceux qui inventaient de diminuer la part du peuple; elles défendaient le pauvre. Elles limitaient jusqu’au nombre des moutons sur certaines terres, pour ne point laisser multiplier les pâturages; elles luttaient contre l’esprit mercantile qui voulait traiter la terre anglaise comme une proie ordinaire et en tirer les plus gros revenus. Le parlement, voyant se dépeupler l’île de Wight, si exposée aux attaques de la France, y défendit les grandes fermes (sous Henry VII) ; il étendit plus tard cette défense à toute l’Angleterre. « Personne ne peut prendre plus d’une ferme quand le revenu dépasse dix marcs, » On rebâtit les petites fermes, on remit la charrue dans les terres livrées aux troupeaux. « Les moutons, écrivait sir Thomas More dans son Utopie, dévorent les hommes et dépeuplent non-seulement les villages, mais encore les villes, car partout où on trouve que les moutons donnent une laine plus douce et plus riche que d’habitude, les nobles et les gentilshommes, et même ces saints personnages, les abbés, ne se contentent plus des anciens revenus que leur donnaient leurs fermes, et, ne songeant pas assez que, vivant eux-mêmes à l’aise, ils ne font aucun bien au public, ils arrêtent la marche de l’agriculture. »

L’Angleterre n’était pas encore la terre de l’économie politique, et la division du travail n’était pas comprise. Aujourd’hui le yeoman, l’homme libre, cultivant sa propre terre, a presque disparu. Ce sont pourtant ces francs-tenanciers qui ont été les soldats de la révolution anglaise. L’ironsides, le régiment de Cromwell, était composé de gens de campagne, petits propriétaires, montés sur leurs propres chevaux. La pétition en faveur de Hampden fut portée au parlement par une troupe de cavaliers gentilshommes et francs-tenanciers du comté de Buckinghamshire, au nombre de 2,000 suivant les uns, de 6,000 suivant les autres. Au XVIIe siècle, l’Angleterre avait encore une foule de petits propriétaires vivant sur leurs terres, gens libres, prêts à défendre leur liberté les armes à la main. Ces laboureurs étaient les muscles et les nerfs de l’école libérale et protestante. Aujourd’hui les grands propriétaires les ont dépossédés : rien ne gêne cette continuelle absorption. Les grandes