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Bretagne. L’étranger peut jouir des libertés anglaises, la terre anglaise lui est refusée[1]; mais l’Anglais lui-même ne connaît guère ce droit de propriété personnelle, indivise, absolue, tel que le définissait le droit romain. La vieille loi saxonne, coutumière et barbare, lutta toujours contre le droit de l’Italie, apporté par les abbés normands à Oxford. Les clercs, instrumens de Rome, tenaient pour le droit romain; les propriétaires saxons épargnés par la conquête, les nobles normands, maîtres du sol, pour la vieille coutume, qui attachait les terres à une race et ne reconnaissait point la propriété individuelle.

Pour comprendre la législation anglaise, il faut se débarrasser l’esprit de toutes les notions latines; la conception d’une chose qu’on possède seul, en plein, dont on puisse user, abuser, ne s’applique point à la terre anglaise. Aucun homme n’a sur la terre une puissance absolue. La terre la plus libre est un fief du souverain ; tous les chaînons féodaux sont détruits, mais le dernier anneau, le roi, est resté. Cette servitude générale du sol, toute nominale il est vrai, exprime pourtant que l’individualisme doit toujours quelque chose à la communauté, le citoyen à la patrie, que la terre n’appartient pas tout entière à ceux qui en font sortir les moissons, et que la communauté garde sur elle une sorte de droit indéfinissable et inaliénable. Ce que l’on appellerait aujourd’hui l’état possède une façon de souveraineté non pas seulement idéale, mais matérielle et tangible; les bois, les champs, les blés, lui rendent hommage.

Si la terre n’est pas absolument libre, on peut en dire autant de la possession. Quand on essaie d’analyser la loi, on reconnaît qu’il y a non-seulement des qualités diverses inhérentes à la terre, mais des manières particulières de la posséder, et comme des degrés différens de propriété. Il faut distinguer : 1° les états de la terre, 2° les états de la possession, qui sont des formes plus ou moins limitées de la propriété absolue. Pour comprendre le premier point, il est impossible de ne pas remonter jusqu’à la conquête même. Le conquérant avait récompensé ses compagnons en leur cédant des parties de son immense domaine royal. Il créa des sortes de bénéfices militaires, qui peu à peu devinrent héréditaires. Les grands vassaux imitèrent le souverain et subinféodèrent des parties de leurs vastes territoires. Les propriétaires allodiaux, c’est-à-dire les Saxons qui n’avaient pas été dépouillés, cherchèrent des suzerains pour être mieux protégés. Le système féodal asservit donc bientôt toute l’Angleterre. Il s’établit quatre tenures différentes, et

  1. Elle l’a été du moins jusqu’à l’année dernière.