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des fonctions cérébrales, il faut bien s’entendre sur le point de départ. Ici nous avons voulu seulement poser un terme du problème, et montrer qu’il faut renoncer à l’opinion que le cerveau forme une exception dans l’organisme, qu’il est le substratum de l’intelligence et non son organe. Cette idée est non-seulement une conception surannée, mais c’est une conception antiscientifique, nuisible aux progrès de la physiologie et de la psychologie. Comment comprendre en effet qu’un appareil quelconque du domaine de la nature brute ou vivante puisse être le siège d’un phénomène sans en être l’instrument ? On est évidemment influencé par des idées préconçues dans la question des fonctions du cerveau, et on en combat la solution par des argumens de tendance. Les uns ne veulent pas admettre que le cerveau soit l’organe de l’intelligence, parce qu’ils craignent d’être engagés par cette concession dans des doctrines matérialistes, les autres au contraire se hâtent de placer arbitrairement l’intelligence dans une cellule nerveuse ronde ou fusiforme pour qu’on ne les taxe pas de spiritualisme. Quant à nous, nous ne nous préoccuperons pas de ces craintes. La physiologie nous montre que, sauf la différence et la complexité plus grande des phénomènes, le cerveau est l’organe de l’intelligence au même titre que le cœur est l’organe de la circulation, que le larynx est l’organe de la voix. Nous découvrons partout une liaison nécessaire entre les organes et leurs fonctions ; c’est là un principe général auquel aucun organe du corps ne saurait se soustraire. La physiologie doit donc, à l’exemple des sciences plus avancées, se dégager des entraves philosophiques qui gêneraient sa marche ; sa mission est de rechercher la vérité avec calme et confiance, son but de l’établir d’une manière impérissable sans avoir jamais à redouter la forme sous laquelle elle peut lui apparaître.


Claude Bernard.