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travers des bois par des souches dressées de distance en distance, et pourvues sans doute de certains signes. Ces troncs, en pourrissant, se couvraient d’une végétation parasite connue des botanistes pour devenir facilement lumineuse dans la nuit.

Comme César et Pline, Tacite redoute les forêts germaniques. Quand il nous raconte que le sol y était sillonné de nombreux souterrains recouverts de broussailles, où les barbares se réfugiaient contre le froid ou bien cachaient leurs grains, il est clair qu’il entend aussi que ces cavernes deviendront de secrets et dangereux asiles pour leurs soldats, et concourront à leur système de défense nationale. Il a en mémoire les désastres que les armées romaines y ont déjà subis. Qu’on relise dans les Annales l’incomparable scène de Germanicus rendant les derniers honneurs aux restes mortels de Varus et de ses trois légions, dans les mêmes lieux où, cinq ans auparavant, ils avaient succombé. Incedunt mœstos locos, visuque ac memoria deformes... Quelle intraduisible expression d’un sentiment de terreur toujours subsistante! Peu de temps encore avant l’époque où Tacite écrivait, n’était-ce pas dans une forêt de Germanie que le Batave Civilis, instigateur et chef d’une vaste coalition entre Germains et Celtes, avait réuni en un repas funèbre ceux qui consentaient à le suivre, et leur avait fait prêter le serment d’une haine mortelle contre Rome, absolument comme jadis le chef des redoutables Samnites avait aussi formé dans les profondes retraites apennines, au prix de terribles sermens, sa fameuse Légion de lin? Au fond de leurs bois, les Germains adoraient ces divinités dont Rome elle-même commençait à croire l’intervention puissante. Là se célébraient les sarglans sacrifices, là étaient déposés ces symboles guerriers, ces simulacres de monstres qui servaient aux barbares de signes de ralliement pendant les batailles. De plusieurs d’entre ces forêts on racontait des choses mystérieuses. Il y en avait une dans laquelle, par une prescription religieuse, on ne devait entrer qu’avec les mains liées; si l’on tombait à terre, il n’était pas permis de se relever. Dans une autre, la divinité venait à une certaine époque visiter ses adorateurs; les chevaux blancs attelés à son char et les témoins de ce qui se passait au fond du sanctuaire payaient ensuite cet honneur de la vie : on les noyait dans un lac consacré. L’Allemagne du moyen âge et celle de nos jours ont gardé de curieuses traces du culte même qui était réservé aux arbres. On remarque aujourd’hui, sur les places de beaucoup de villes allemandes, surtout dans le nord, des statues dites de Roland. Elles représentent en effet le neveu de Charlemagne tenant en main sa bonne épée. Par quelles voies le souvenir du paladin a-t-il dominé de la sorte dans une contrée si éloignée de la scène de ses exploits? On a pensé que la légende de Roland n’avait eu d’autre raison de