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tentrionale de la Calédonie, ils avaient été réduits à manger quelques-uns d’entre eux ; les survivans échouèrent sur les côtes du pays des Suèves et des Frisons, qui les traitèrent en pirates. Devenus esclaves, ils furent amenés parmi nous, dit Tacite, et acquirent une certaine célébrité par la singularité de leurs aventures.

Les premiers phénomènes que des habitans de la zone tempérée avaient dû remarquer en passant, pendant la saison d’été, sous le climat du nord, étaient évidemment ceux de la lumière. Il n’en est pas qui parlent plus intimement aux sens et à l’âme, ni qui exercent une influence plus pénétrante et plus irrésistible; il n’en est pas, dans les pays septentrionaux, de plus remarquables ni de plus excessifs. De l’Italie aux contrées riveraines de la Mer du Nord ou de la Baltique, la différence n’est pas seulement dans un soleil d’été ici moins implacable, dans un azur moins intense, dans une atmosphère plus subtile, ce semble, et d’un rayonnement plus doux; il y a aussi des traits tout à fait particuliers, comme la fréquence des aurores boréales et les jours continus, sans coucher de soleil. Ce dernier phénomène, pour n’être pas accidentel, n’en surprend pas moins l’hôte inaccoutumé par des dehors étranges et par une apparente dérogation aux lois qui régissent les autres climats. Je rentrais une fois à minuit, au milieu de juin, du parc voisin de Stockholm dans la ville. Le soleil ne se montrait pas, mais un clair crépuscule égalait, peu s’en faut, la lumière du jour; il s’en distinguait par un reflet uniforme, blafard, voilé, rappelant cette lueur inquiétante qui accompagne les éclipses. Quelques vapeurs, condensées en traînées cotonneuses et blanchâtres, planaient sur les eaux; la ville, silencieuse, paraissait obéir à un sommeil magique : c’était une entière évocation de la nature romantique du nord. Ce que nous admirons aujourd’hui, croit-on que les anciens ne le remarquaient pas? Tacite n’a pas manqué de signaler la singularité de ces manifestations lumineuses; par deux fois, il a noté le phénomène des longs jours, d’abord dans l’Agricola, en décrivant le climat au nord de la Calédonie. « Les nuits mêmes y sont claires, dit-il ; aux extrémités de ce pays, elles sont si courtes qu’un crépuscule sépare seul le jour qui s’achève du jour suivant qui commence. Si les nuages n’interceptaient la vue, les habitans disent qu’on apercevrait l’éclat du soleil, qui ne se lève ni ne se couche, mais ne fait que raser la ligne d’horizon. » Ces derniers mots donnent une description remarquablement exacte et fidèle de ce qu’on peut observer le 24 juin vers la latitude où se trouve, au sommet de la Baltique, la ville de Tornéo. L’explication que Tacite en propose est moins heureuse : c’est, à l’entendre, que ces extrémités de la terre sont très plates; il en résulte que l’ombre n’y peut grandir, et que la nuit ne saurait