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en ami, bien reçu par la commune[1]. Ce jour-là, il donne à Rainaldo un acte notarié pour le rassurer sur les suites de l’échauffourée. Il lui promet au nom du roi tous les secours d’hommes et d’argent nécessaires pour le venger des habitans d’Anagni et des parens de Boniface, ainsi que le dédommagement entier de ce qu’il a souffert et de ce qu’il souffrira dans la suite pour la même cause. Nogaret est qualifié dans cet acte excellentissimi régis Franciœ miles et nuntius specialis ; tout ce qu’il a fait, il l’a fait « en faveur de la foi orthodoxe ; » la conduite des Anagniotes dans la journée du lundi 9 septembre est qualifiée de trahison ; ils seront punis : après avoir commencé par promettre aide et conseil à Guillaume et tenu un moment leur parole, n’ont-ils pas essayé de lui faire subir une mort cruelle ? n’ont-ils pas traîné dans les rues d’Anagni le drapeau et les armes du roi de France ?

L’élection du pieux et doux Boccasini (Benoît XI), qui eut lieu le 22 octobre à Pérouse, sembla donner une entière satisfaction à Nogaret. A l’altier Gaetani succédait l’humble fils d’un notaire de Trévise, préparé par sa piété, ses habitudes monacales et la modestie de son origine à toutes les concessions, à toutes les amnisties, à ces pieux malentendus dont se compose l’histoire de l’église, et dont tout l’artifice consiste à donner raison au plus fort « pour éviter le scandale. » C’est alors qu’on vit la grandeur de la victoire remportée par Philippe. Il avait par le prestige de sa force tellement dompté la papauté que la complaisance dont on pouvait être capable envers lui devenait le titre principal pour être élu pape. Boccasini avait été témoin oculaire de la scène d’Anagni, et pourtant il ne perd pas un jour pour traiter avec Philippe. Un nouvel envoyé royal, Pierre de Péred, prieur de Chiesa, était arrivé en Italie la veille de la mort de Boniface, ayant pour mission de soulever les Italiens contre ce pape. Benoît XI, à peine nommé, le reçut. Péred ne recula pas sur un seul point ; il s’étendit en lamentations sur les plaies faites à l’église par Boniface, il insista sur la nécessité de convoquer un concile à Lyon ou en tout autre lieu non suspect ni incommode aux Français, afin de réparer les maux causés par le défunt antipape. Benoît XI était si frappé de terreur qu’il promit tout ce qu’on voulut. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que ce bon pape put triompher de ses légitimes répugnances jusqu’à entrer en relation, non-seulement avec Péred, mais avec l’insolent envahisseur du palais d’Anagni, avec celui qu’il avait vu de ses yeux quelques jours auparavant accomplir sur la personne de son prédécesseur un attentat inouï jusque-là.

  1. « Post ejus exitum de Anagnia, ipsum apud Ferentiaum, cum communi civitatis ipsius, recepimus et eum fovimus. »