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dit-il à deux clercs qui étaient à côté de lui, je veux au moins mourir en pape. » Il se fit revêtir alors de la chape de saint Pierre, mit sur sa tête le triregno, prit dans ses mains les clés et la croix, et s’assit sur la chaire pontificale, ayant à côté de lui deux cardinaux qui lui étaient restés fidèles, Nicolas Boccasini, évêque d’Ostie (depuis Benoit XI), et Pierre d’Espagne, évêque de Sabine. A ce moment, la porte céda. Sciarra entra le premier, s’élança d’un air menaçant, et adressa au pontife vaincu des paroles injurieuses. Nogaret, qui s’était un moment écarté, le suivit de près. Le dessein de Nogaret était d’intimider le pape, de l’amener à se démettre, ou à convoquer lui-même le concile qui l’eût déposé. Fidèle à son rôle de procureur, il expliqua au pape, « en présence de plusieurs personnes de probité, » la procédure faite contre lui en France, les accusations dont on le chargeait (accusations sur lesquelles, ne s’étant point défendu, il était, d’après le droit inquisitorial, réputé convaincu), et l’assignation qui lui était faite de comparaître au concile de Lyon pour y être déposé, vu sa culpabilité notoire comme hérétique et simoniaque. « Toutefois, ajouta l’envoyé du roi, parce qu’il convient que vous soyez déclaré tel par le jugement de l’église, je veux vous conserver la vie contre la violence de vos ennemis, et vous représenter au concile général, que je vous requiers de convoquer ; si vous refusez de subir son jugement, il le rendra malgré vous, vu principalement qu’il s’agit d’hérésie. Je prétends aussi empêcher que vous n’excitiez du scandale dans l’église, surtout contre le roi et le royaume de France, et c’est à ces motifs que je vous donne des gardes pour la défense de la foi et l’intérêt de l’église, non pour vous faire insulte ni à aucun autre. » Boniface ne répondit pas. Il paraît qu’aux gestes furieux de Sciarra il n’opposa que ces mots : Eccoti il capo, eccoti il collo. Chaque fois qu’on lui proposa de renoncer à la papauté, il déclara obstinément qu’il aimait mieux perdre la vie. Sciarra voulait le tuer, Nogaret l’en empêcha ; seulement, pour intimider le vieillard, il parlait de temps en temps de le faire amener garrotté à Lyon. Boniface dit qu’il était heureux d’être condamné et déposé par les patarins. Il faisait sans doute par ce mot allusion au grand-père de Nogaret. Peut-être cependant désignait-il par là l’église de France ; Boniface, en effet, avait coutume de dire que l’église gallicane n’était composée que de patarins.

Pendant que cette scène étrange se passait, le manoir papal, ainsi que les maisons de Pierre Gaetani et des cardinaux amis du pape, étaient livrés au pillage. Le trésor pontifical, qui était très considérable surtout depuis le jubilé de l’an 1300, les reliquaires, tous les objets précieux, furent la proie des Colonnes et de leurs partisans ; les cartulaires et registres de la chancellerie apostolique furent dispersés, les vins du cellier bus ou enlevés. Tout cela se