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expéditions françaises en Italie, personne ne pensa au retour. Ardens foyers de divisions intestines, les villes de la péninsule offraient toujours un accueil empressé à l’étranger riche ou puissant qui venait servir les haines de l’un des partis ; mais bientôt la réaction se produisait ; tous les partis étaient ligués contre l’intrus, qui ne réussissait pas sans peine à sortir du nid d’intrigues où il avait imprudemment mis le pied.

De Florence, les envoyés de Philippe se rendirent à Staggia, près de Poggibonzi, sur le territoire de Florence, près des frontières de Sienne. Mouchet possédait là un château, où il avait hébergé Charles de Valois en 1301. INogaret et sa bande y firent un assez long séjour, durant lequel ils organisèrent leur expédition. Peut-être à Florence avaient-ils déjà recueilli des partisans parmi les gibelins, irrités contre Boniface. De Staggia, ils envoyèrent en Toscane et dans la campagne de Rome des agens munis de lettres et chargés de faire des offres d’argent à tous ceux qu’on jugeait capables d’entrer dans la ligue du roi. Nogaret et ses amis dissimulaient complètement leur dessein. Ils disaient qu’ils étaient venus traiter d’un accord entre le pape et le roi. Quelques seigneurs puissans du pays, tous ou presque tous du parti gibelin, se mirent avec eux. C’était d’abord Jacopo Colonna, surnommé lo Sciarra, homme violent qui portait aux derniers excès les haines de sa famille, et qui d’ailleurs avait de grandes obligations à Philippe ; les enfans de Jean de Ceccano, dont le pape retenait le père prisonnier depuis longtemps ; les enfans de Maffeo d’Anagni, quelques autres barons de la campagne de Rome. Sciarra forma ainsi une troupe de 300 chevaux, que suivait un nombre assez considérable de gens de pied. Environ 200 chevaux, reste de l’armée de Charles de Valois, se joignirent à la bande de Sciarra ; cela faisait en tout environ 800 hommes armés. Tout ce monde était payé par le roi, portait l’étendard des lis, criait vive le roi !

Boniface avait par ses fautes miné en quelque sorte le sol sous lui. Roi profane beaucoup plus que père des fidèles, il faisait servir ses pouvoirs spirituels à ses ambitions laïques ; par une suprême inconséquence, il opposait ensuite le bouclier du respect religieux aux coups qu’il s’était légitimement attirés par ses intrigues politiques. La nature semblait l’avoir formé pour mener aux abîmes à force d’excès l’altière conception de la papauté créée par la grande âme de Grégoire VII.

La conjuration grossissait chaque jour. Nogaret tenta vainement d’y engager le roi de Naples, Charles II d’Anjou. Il s’adressa aux Romains sans plus de succès ; mais il réussit pleinement auprès de Rinaldo ou Rainaldo da Supino, originaire d’Anagni et capitaine de la ville de Ferentino. Boniface s’était fait un ennemi mortel de cet