Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’église, il faut avant tout qu’il soit mis en prison, et que le roi avec les cardinaux établisse un vicaire de l’église romaine pour ôter toute occasion de schisme jusqu’à ce qu’il y ait un pape. Le roi y est tenu pour le maintien de la foi, et de plus comme roi, dont le devoir est d’exterminer tous les pestiférés en vertu du serment qu’il a fait de protéger les églises de son royaume, que ce lupus rapax est en train de dévaster ; il y est tenu aussi par l’exemple de ses ancêtres, qui ont toujours délivré d’oppression l’église romaine.

L’accusation fut reçue. Un roi que saint Louis avait tenu enfant sur ses genoux, et qui était lui-même un homme de la plus haute piété, crut sincèrement ne faire que suivre les principes de ses ancêtres en s’érigeant en juge du chef de la catholicité et en se portant contre lui défenseur de l’église de Dieu.

Nogaret et ses trois compagnons partirent sans doute de Paris peu de temps après l’assemblée du 12 mars. Un acte de ce même mois, daté de Paris, montre que ses services lui furent en quelque sorte payés d’avance. Cet acte accorde à Guillaume et à ses héritiers un revenu de 300 livres tournois payable sur le trésor du roi à Paris, en attendant que ce revenu lui soit assigné en terres. Les quatre envoyés étaient sûrement partis le 13 juin, puisqu’à cette date nous trouvons une nouvelle assemblée du Louvre, où figure non plus Nogaret, mais Guillaume de Plaisian, lequel répète à peu près l’acte d’accusation du 12 mars, et déclare expressément qu’il s’en réfère à ce qu’a dit antérieurement Nogaret. Le roi consent à la réunion du concile en invoquant pour motif ce que lui avait auparavant représenté Nogaret ; il renouvelle en même temps son adhésion à l’acte d’accusation du 12 mars[1].

Nous ne savons rien de l’itinéraire des quatre légistes jusqu’à Florence. Ils s’arrêtèrent quelque temps dans cette ville, où ils avaient une lettre de crédit pour les « Perruches » ou Petrucci, banquiers du roi. On s’était arrangé pour que les Petrucci ignorassent l’usage qu’on voulait faire de l’argent. L’opération eut de la sorte un caractère de guet-apens assez messéant à la dignité du roi, et qui d’ailleurs recelait un défaut profond ; il était clair en effet que la surprise devait réussir, mais que le premier moment d’étonnement une fois passé serait suivi d’un retour dangereux. Si l’enlèvement du pape était bien organisé, les moyens pour le garder et l’amener en France n’étaient pas suffisamment concertés. On sent en tout cela un plan italien, une conjuration hardie, mais sans longue portée. Comme il arriva plus tard dans les grandes

  1. Non recedendo ab appellatione per dictum G. de Nogareto interposita, cui ex tunc adhœsimus ac etiam adhæremus. »