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époque, donnaient à la France des leçons de politique perfide, le roi et ses confidens conçurent le projet le plus extraordinaire : aller chercher Boniface à Rome pour l’amener à Lyon devant un concile qui le déclarerait hérétique, simoniaque, et par conséquent faux pape.

L’étonnante hardiesse de ce plan n’a été dépassée que par la hardiesse de l’exécution elle-même. Nogaret fut l’homme choisi pour le mener à bonne fin. Sa haine de légiste contre les pouvoirs exorbitans de la juridiction ecclésiastique, sa docilité sans borne envers la monarchie absolue, sa haine de Français contre l’orgueil italien, son vieux sang de patarin et le souvenir du martyre de son aïeul lui firent accepter une commission dont certes personne, dans les siècles antérieurs du moyen âge, n’aurait osé admettre l’idée.


II

Ce plan dut être arrêté en l’année 1303, vers le mois de février. Trois personnages, Jean Mouschet, qualifié de miles, Thierry d’Hiricon, Jacques de Gesserin, qualifiés de magistri, furent donnés pour compagnons à Nogaret. Le premier de ces personnages est bien connu. C’était un Florentin ou, comme on disait alors, un « Lombard. » Son vrai nom était Musciatto Guidi de’ Franzesi ; dans les documens français il est appelé « monseigneur Mouche » ou « Mouchet. » On le voit avec son frère Biccio (Biche ou Bichet) mêlé, quelquefois d’une manière odieuse, souvent aussi d’une façon honorable, à presque tous les actes financiers de l’administration de Philippe le Bel. On a eu tort de présenter uniquement ces deux personnages comme des agens de fraudes et de rapines. Il est sûrement difficile de les justifier sur tous les points ; cependant les nombreux documens officiels où leur nom figure dénotent deux financiers habiles, deux élèves exercés de la grande école des banquiers de Florence, pas toujours assez scrupuleux sans doute, en tout cas deux avant-coureurs de ces légions d’italiens consommés dans l’art de gouverner qui, au XVIe et au XVIIe siècle, furent les agens de la politique et de l’administration françaises. Philippe le Bel est le premier souverain français que nous voyions ainsi entouré d’Italiens. La haine religieuse des ultramontains a voulu conclure du nom de’ Franzesi donné par Villani que les Mouschet étaient Français d’origine. Nous ne demanderions pas mieux ; mais il faut remarquer que ce nom est rendu en latin par de societate Frescohaldorum et Francentium. Au mois d’octobre 1302, Philippe avait déjà chargé Jean Mouschet d’une mission importante à Rome. En 1301, Jean Mouschet avait aussi accompagné Charles de Valois en Italie, l’avait reçu à son château de Staggia et avait été son agent principal dans la fâcheuse campagne