Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville pour rendre compte de ce refus. Ils comparurent le samedi avant la Saint-André (30 novembre), donnèrent par écrit les raisons de leur conduite, et en appelèrent au roi. Le sénéchal, au mois de décembre, chargea Guillaume de Nogaret de réfuter l’argumentation des consuls. Tout d’abord Nogaret nous paraît ainsi comme un de ces légistes qui ont contribué, au moins autant que les hommes d’armes, à construire l’unité française et à fonder La puissance de la royauté. Nul doute que dès cette époque il n’ait énergiquement secondé la politique de Philippe le Bel, qui, surtout dans le midi, consistait à séculariser la société et à transférer au pouvoir laïque plusieurs attributions qui jusque-là avaient été entre les mains du pouvoir religieux.

Ce fut probablement en 1296 que Nogaret fut appelé par le roi pour faire partie de son conseil, et devenir l’agent des principales affaires de la royauté. En cette année, il intervient pour régler les difficultés qu’entraînait la réunion du comté de Bigorre à la couronne de France. En cette même année, il remplit une mission pour le roi et la reine dans les comtés de Champagne et de Brie. Il y porta, ce semble, l’âpreté anticléricale dont il donna plus tard tant de preuves ; nous voyons en effet le clergé de Troyes réclamer énergiquement contre ses décisions. En 1298, il juge dans les affaires les plus graves du parlement. En 1300, il est député par le roi pour faire la recherche de ses droits au comté de Champagne. C’est en 1299 qu’il fut anobli. Les actes de 1298 ne lui donnent que le titre de magister ; au contraire, dans un acte passé à Montpellier à la fin de juillet 1299, il est qualifié miles ou « chevalier. » C’est sous le règne de Philippe le Bel que l’on voit paraître ces « chevaliers ès-lois » que l’on peut considérer comme la vraie origine de la noblesse de robe. On appelait ainsi les légistes qui avaient été créés chevaliers sans avoir porté les armes. Le titre officiel de Nogaret sera désormais legum doctor et miles, ou miles et legum professor, ou simplement miles régis Franciœ, chevalier du roi de France. Une classe d’hommes politiques, entièrement nouvelle, ne devant sa fortune qu’à son mérite et à ses efforts personnels, dévouée sans réserve au roi qui l’avait créée, rivale de l’église, dont elle aspirait en bien des choses à prendre la place, faisait ainsi son entrée dans l’histoire de notre pays et allait inaugurer dans la conduit des affaires un profond changement.

En 1300, Nogaret figure pour la première fois dans la grande lutte qui devait rendre son nom célèbre, c’est-à-dire dans le différend du roi Philippe le Bel et du pape Boniface VIII. Ce différend avait commencé l’an 1296. La réconciliation du roi et du pape, après leurs premiers démêlés, n’avait été qu’apparente ; deux orgueils rivaux aussi énormes que celui de Boniface et celui de Philippe ne