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éclaircir ce qui intéressait les luttes ecclésiastiques. C’est à la critique de notre temps, aux vastes travaux sur l’histoire nationale, qui sont la gloire de notre École des chartes et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qu’il était réservé de présenter un tableau clair et certain de ces années obscures et pourtant si décisives. Tout était à débrouiller. Les pièces originales de la politique de Philippe sont assez nombreuses, mais elles présentent des difficultés particulières ; les dates que leur assignent Dupuy, Baillet, Raynaldi, sont presque toutes fausses ; aucun récit historique contemporain ne pouvant servir à les lier entre elles et à les agencer, il faut, pour en déduire les faits, beaucoup d’attention, de patience et de sagacité. Cette tâche a été parfaitement remplie par M. Boutaric[1] et par M. Natalis de Wailly[2]. Grâce au zèle de ces deux investigateurs, nous possédons maintenant une trame excellente du règne de Philippe IV ; on pourrait avec leurs travaux faire presque jour par jour l’histoire du prince, de ses ministres, de ses conseillers. Il y a un an, nous essayâmes de résumer ici les travaux de MM. Boutaric et de Wailly sur un des publicistes de Philippe, l’avocat Pierre Du Bois[3] ; aujourd’hui nous tenterons la même chose pour le plus célèbre des hommes énergiques qui attachèrent leur fortune à celle du plus audacieux des rois. Guillaume de Nogaret n’est un modèle à suivre pour personne ; mais tout ce qui est puissant doit passer à sa manière pour une salutaire leçon. Poussées à un certain degré de force et employées pour de grandes causes, l’impudence même et la scélératesse donnent une haute idée de la race, et, comme la lecture d’une pièce de Shakspeare, d’où Dieu et le sens moral sont absens, elles élèvent, assainissent, ne fût-ce que par la réaction qu’elles provoquent et par l’espèce d’effroi qu’elles inspirent.


I

Guillaume de Nogaret naquit à Saint-Félix de Carmaing ou Caraman, aujourd’hui chef-lieu de canton du département de la Haute-Garonne, qui faisait alors partie du Lauraguais et du diocèse de Toulouse. On ignore la date précise de sa naissance. Ce nom de Nogaret, équivalent de Nogarède ou Nougarède, est la forme méridionale d’un mot dont la forme française serait Noyeraie ; aussi le sceau de notre Nogaret porte-t-il pour armes un noyer de sinople en champ

  1. La France sous Philippe le Bel. Paris, 1861 ; Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XX, 2e partie ; Revue des questions historiques, t. X et XI (1871 et 1872).
  2. Recueil des historiens de la France, t. XXI et XXII.
  3. Revue des Deux Mondes, 15 février et 1er mars 1871.