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habiles à tout justifier; elles n’ont rien vu qui ne fût édifiant, elles revêtent la robe blanche des lévites pour célébrer avec attendrissement les vertus qui leur ont été données en spectacle, et, par manière de conclusion, elles déclarent que la vertu a tous les droits, que le monde entier lui est promis en récompense : cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout vous sera accordé par-dessus. Tel ce moine qui soutenait que le bon gibier avait été créé pour les religieux, et que, si les perdreaux, les faisans, les ortolans, pouvaient parler, ils s’écrieraient : « Serviteurs de Dieu, soyons mangés par vous! » Il y a là peut-être matière à un fabliau; mais je doute, ô serviteurs de Dieu, que l’Alsace mangée par vous puisse vous fournir le motif d’un dithyrambe ou d’une ode. S’il est permis de vanter son appétit, il faut toujours avoir le style de son sujet.

Le fusilier Kutschke est un bonhomme; il est carré des épaules et très rond en affaires, il ne cherche pas midi à quatorze heures. Il a entendu Napolium rôder dans le buisson, il a pris son fusil. Le fusil était bon, les camarades étaient solides.

Napolium, Napolium,
Mit deiner Sache geht es krumm.


« Napoléon, Napoléon, le diable s’est mis dans tes affaires. » Les poètes officiels parlent autrement, ils donnent dans le phébus : ce qui selon eux a vaincu à Wœrth et à Sedan, ce n’étaient pas les fusils et les canons, c’était l’humilité, la tempérance et la chasteté allemandes conduites par saint Michel en personne. Kutschke n’a pas vu saint Michel, et on l’étonnerait beaucoup en lui parlant de sa chasteté et de sa tempérance; mais il a une idée, qui est simple : il veut à toute force entrer à Paris pour y rabattre le caquet de la grande nation.

Und die franzosische Grossmaulschaft
Auf ewig wird sie abgeschafft.

Les poètes officiels le prennent sur un autre ton ; ils fulminent des anathèmes contre Babylone; si leur peuple aspire à conquérir le monde, c’est qu’il a reçu mission de Dieu pour le régénérer. Ils font des phrases, le fusilier Kulschke n’en fait point, et les poètes de 1813 n’en faisaient pas non plus. La phrase est la mort de la poésie et la ressource des consciences qui ont la rage de s’ingérer dans ce qui ne les regarde pas.

La déconvenue de Raton est le fond de l’histoire universelle. Il tire les marrons du feu, Bertrand les croque; l’un a de la main, l’autre est habile. Raton n’était pas content, nous dit le fabuliste, et il ajoute :