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rant bien des années chanter le même air sans se répéter. Il a composé pour son dieu des hymnes, des odes, des complaintes en tercets, des chansons. En 1844, au bord de la mer, il écrivait ces sonnets dont nous avons parlé plus haut; quelques-uns sont d’une forme achevée et d’une véritable beauté, et dépassent de bien loin, selon nous, les récentes poésies de l’auteur. L’homme est ainsi fait que le désir l’inspire mieux que la possession. A ces sonnets, il mêlait des cavatines telles que celle-ci :


« A travers la nuit profonde passe un bruissement qui fait plier les branches bourgeonnantes. Dans le vent résonne une vieille chanson, la chanson de l’empereur allemand.

« Mon esprit est hagard, mon cœur est pesant. Je me tiens aux écoutes; ce bruit est pareil à une armée en marche dans les nuées, ou au frémissement d’un aigle.

« Bien des milliers de cœurs sont tourmentés comme le mien, et comme le mien sont dans l’attente. Sur toutes les montagnes, ils montent la garde pour voir si le soleil se lève rouge.

« L’Allemagne, fiancée, déjà parée pour la noce, dort d’un sommeil de plus en plus léger. Quand l’éveilleras-tu au bruit de tes trompettes, quand l’emmèneras-tu chez toi, ô mon empereur! »


En 1849, M. Geibel crut posséder son empereur. La veille du jour des Rameaux, un ami l’abordant lui cria d’une voix tremblante : Réjouis-toi, un empereur allemand vient d’être proclamé à Francfort. Au même instant, de toutes les tours de la ville s’éleva un carillon de cloches qui annonçaient Pâques fleuries. « Il me sembla que ces cloches sonnaient en l’honneur de l’empire allemand, et l’hosanna qui leur répondait pieusement dans ma poitrine s’adressait à la fois à deux rois qui faisaient leur entrée, au roi des cieux et à celui de ce monde. » Éperdu, le poète monte à cheval et s’enfuit dans les bois pour s’entretenir avec eux de l’émouvante nouvelle. Il y avait comme une musique répandue dans l’air, les sources murmuraient le nom glorieux, les oiseaux s’égosillaient, et M. Geibel pensait à Henri l’Oiseleur, au blond héros saxon, qui avait l’œil sur le trébuchet quand le duc Éberhard lui vint offrir la pourpre et la lance sacrée. Alors, rapprochant en lui-même le passé et le présent, son cœur se pâma. « Je pleurai comme pleure un homme quand une grande destinée frappe de sa main puissante sur son cœur.» déception! Frédéric-Guillaume IV ne trouva pas que le fruit fût encore mûr, il refusa de le cueillir. « Nous restâmes orphelins comme nous l’avions été pendant quarante-trois ans, nous suspendîmes de nouveau nos harpes aux branches des saules, et le