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joie et forme des danses. Voilà le moment d’apporter les torches et de faire paraître l’épouse. »

M. Geibel est un poète en vogue. Ses douces mélancolies, ses gaîtés tempérées, ont fait leur chemin dans le monde; on le met en musique, et ses romances sont en possession de faire gémir et soupirer tous les pianos de l’Allemagne. Comme il arrive à certains écrivains, le public lui est bien plus favorable que la critique. Les censeurs d’office de la littérature lui reprochent de n’avoir rien de très original, ni qui soit vraiment à lui, et de ne pas éviter toujours le convenu, le banal, ni la fadeur. D’autres se plaignent que sa poésie sonne creux, que, si on lit facilement ses vers, ils se laissent facilement oublier. D’autres encore l’accusent d’avoir un tour d’esprit un peu philistin, et d’écrire pour les pensionnats de demoiselles, pour les Backfische. Il peut se consoler des sévérités de la critique : il a le succès, et la malveillance de ses dénigreurs est obligée de lui reconnaître deux qualités, ce je ne sais quoi qui ne se définit pas, mais qui s’impose, le charme, et beaucoup d’étude, la connaissance approfondie du métier, la science du vers et de la rime comme du rhythme. Un esprit chagrin a prétendu qu’en fait d’art notre siècle n’avait aujourd’hui de véritable supériorité que dans l’aquarelle et dans la musique de piano. Il ne faut pas trop ravaler le piano. Si l’âme et la profondeur lui manquent, il offre en revanche des ressources infinies à l’agilité des doigts, aux tours de souplesse, sans compter qu’il a ce mérite d’être un orchestre en raccourci. Non-seulement la poésie de M. Geibel a souvent été chantée avec accompagnement de piano, mais il est lui-même en matière de poésie un très habile pianiste. Il a traduit dans la langue du piano les thèmes traités avant lui par les grands poètes allemands; cela fait une musique facile, courante et agréable. Son instrument étant universel, il s’est essayé dans tous les genres, dans l’épopée comme dans le drame; il a mis en vers un mythe oriental, il a raconté le voyage de fiançailles du roi Sigurd, on a de lui un Meister Andrea qui est une comédie, un roi Roderic, une Brunhild, une Sophonisbe, qui sont des tragédies en cinq actes, et, quel que fût son sujet, il a fait preuve de talent; mais l’Orient, les Nibelungen, l’Espagne, Rome, Carthage, ce brillant virtuose a tout réduit aux proportions du piano. On regrette quelquefois les éclatantes sonorités de l’orchestre, les tendresses et les grincemens du violon, les accens caverneux de la contre-basse, les tendres soupirs du hautbois et les fanfares de la trompette. C’est pourtant quelque chose qu’un habile pianiste, et il faut savoir se contenter des à-peu-près.

Grâce aux ressources variées de son instrument et à la souplesse de sa main, le poète officiel de l’empire, le Kaiserdichter, a pu du-