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et célébrer les gloires germaniques? « Tu ressembles, disait Uhland à un contempteur des sonnets qui se permettait d’en faire, tu ressembles à ce magister qui grondait son élève d’avoir volé des cerises et qui les mangeait lui-même, tout en grondant. » M. de Redwitz a même poussé l’inconséquence jusqu’à parler le welche, et parmi ses sept mille vers il a inséré des vers français de sa composition. Il nous représente les Parisiens s’écriant tout d’une voix en 1870:

Ha, vous, Prussiens, l’Autriche n’est pas la France !
Vous serez battus, et avec élégance.
Ha, vive la guerre allemande, ha, vive le Rhin!
Ce n’est qu’une promenade jusqu’à Berlin[1].

La princesse palatine rapporte dans une de ses lettres que, lorsque M. de Navailles visita Sceaux, on lui montra la belle cascade, la galerie d’eau qui était une merveille, la salle des maronniers, et qu’il n’admirait rien de tout cela; mais quand il vint au potager où était la salade, il s’écria : « Franchement la vérité, voilà une belle chicorée. » Nous sommes comme M. de Navailles; sans méconnaître les beautés dont le poème de M. de Redwitz est émaillé, nous avons un faible pour ses vers français. Franchement la vérité, ces quatre vers sont la plus belle rose de son bouquet.

Pour être écrit tout entier en sonnets, le Chant du nouvel empire ne manque point de variété. On y trouve des récits épiques, des effusions lyriques, des alléluias, des épigrammes, des indignations, des cris de fureur, des soupirs, des larmes, des adorations, des roucoulemens de colombe. Tantôt le poète adresse d’éloquentes prosopopées à l’empereur Guillaume, « dont l’œil est éclairé par la lumière de la foi, » et aux généraux qui commandaient à Wœrth et à Sedan, et il les supplie de se souvenir de leurs victoires jusqu’à leur mort, à quoi sûrement ils ne manqueront pas. Tantôt il fait comparaître en présence de M. de Moltke Alexandre, Jules César, Napoléon, Wellington, le grand Frédéric; ces conquérans regardent avec stupeur ce rival qui les a surpassés, et tous ils s’inclinent profondément devant lui. Tantôt il met en scène le grand chancelier, « cet aigle qui embrasse de son œil perçant les champs de bataille de la diplomatie, ce héros qui a fait la guerre sainte avec le glaive de l’esprit, cet archer dont les flèches ont transpercé le mensonge et l’effronterie gauloises. » — « Une seule chose m’inquiète, ô grand homme, lui dit-il; as-tu un cœur? Ce cœur fait peu parler de lui,

  1. Un recueil allemand (Unsere Zeit) reproche aux vers allemands de M. de Redwitz de pécher par une abondance de chevilles, d’inversions forcées, d’apostrophes dures, de rimes cherchées ou douteuses, d’images de mauvais goût. Voilà des reproches qu’on ne peut faire à ses vers français.