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raux Bourchier et Brownlow ont envahi ce pays de deux côtés à la fois, le premier du côté du nord par Katchar, le second du sud par Chittagong ou Islamabad. L’expédition se compose de trois régimens d’infanterie, d’une batterie de montagne, de 2,000 coulies pour construire des routes; elle emploie 200 éléphans, que l’on a eu beaucoup de peine à réunir. Les coulies ont été engagés pour huit mois; le choléra et de fréquentes désertions font des vides assez considérables dans leurs rangs qui ont déjà nécessité des recrutemens supplémentaires. Outre une quantité très considérable de vivres et de munitions, on a emporté 88 canots étroits et légers. La contrée est malsaine et d’un accès difficile. C’est une succession de collines recouvertes par un lacis inextricable de bambous, de broussailles et de lianes, entre lesquels s’étendent des marais sans fond remplis de roseaux. Les colonnes marchent pendant des heures entières sous des arcades de verdure formées par les bambous, ou bien à l’ombre des pisangs et des palmiers. Dans ces solitudes, le silence n’est troublé que par l’aboiement lugubre d’un singe noir qu’on entend de loin, mais qui ne se montre guère.

L’expédition a trouvé sur sa route plusieurs villages fortifiés qui ont été pris d’assaut; d’autres, qui avaient été abandonnés par les habitans, ont été brûlés. Sur quelques points, les natifs se sont montrés moins hostiles, ils sont venus offrir des volailles et des légumes qu’ils voulaient échanger contre du sel. Pour rester en communication avec leurs réserves, les chefs des deux colonnes ont fait établir des fils télégraphiques tout le long du chemin qu’ils ont suivi. Une dépêche datée du 3 février annonçait que le général Bourchier (qui a été légèrement blessé dans une escarmouche) venait de franchir avec ses troupes une chaîne de montagnes d’une hauteur de 2,000 mètres, et qu’il marchait sur Poiboy, la forteresse principale des Louchais.

Voilà où en est cette expédition d’après les dernières nouvelles transmises de Calcutta. Il n’est guère probable qu’une entreprise si coûteuse n’ait d’autre but que de relever le prestige anglais chez les populations montagnardes dont les incursions sont toujours redoutées sur la frontière du nord-est; il est permis de supposer que le véritable objectif de l’expédition est le Yunan, qui est sur sa route, et dont elle n’est plus séparée que par un lambeau de territoire birman. Ajoutons qu’un émissaire des Panthays est arrivé à Bhamo chez le résident anglais; il prétend que le seul obstacle qui empêche encore de renouer les relations commerciales entre le Yunan et la Birmanie est la présence des brigands chinois qui infestent la contrée, et dont les Panthays ne peuvent pas venir à bout tout seuls. Les Anglais perdront-ils cette occasion de rendre service à un brave peuple qui a besoin de leurs bras? De son côté, le roi d’Ava refuse de laisser revenir chez lui le major Sladen : il a menacé de faire tirer sur le bateau qui l’amènerait; on dit aussi qu’il a près de lui un agent d’une puissance étrangère qui l’excite à faire la guerre aux