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ran). Ces illusions d’entente cordiale ne tiennent pas devant les faits graves et significatifs qui se produisent chaque jour. Le docteur Hunter, dans un livre publié récemment, nous trace un sombre tableau des rapports qui existent entre les mahométans de l’Inde et leurs maîtres chrétiens[1]. Cette publication a soulevé une polémique à laquelle ont pris part tous ceux qui, de près ou de loin, croient connaître la situation de l’empire britannique en Asie, mais les événemens ne donnent pas raison aux optimistes.

M. Hunter raconte l’origine et le développement progressif de la conspiration wahabite, qui, profitant de toutes les fautes du gouvernement, a jeté ses ramifications dans toutes les parties du territoire. Les wahabites, ces puritains de l’islamisme, se montrent encore plus intraitables sur les bords du Gange que dans leurs oasis de l’Arabie. « Voilà bientôt trois ans, écrit M. Vambéry[2], que les wahabis lancent avec une audace croissante leurs fusées révolutionnaires de leur quartier-général de Patna. Tantôt ils fomenteront une petite rébellion des tribus montagnardes, tantôt sous leur instigation un fedaji quelconque (c’est le nom que se donnent les enfans perdus de la conspiration) ira frapper un Européen inoffensif, afin de mériter le martyre, ou bien l’on verra un zélateur de cette secte prêcher ouvertement aux régimens de cipayes la révolte et la guerre sainte contre les infidèles, c’est-à-dire contre leurs maîtres. Et que font les Anglais en présence de ce jeu dangereux ? On est vraiment étonné qu’après les sacrifices terribles que leur a coûtés la dernière guerre, ils n’attachent pas plus d’importance aux manœuvres menaçantes d’un ennemi aussi rusé que fanatique… Quand on parle en Europe de fanatisme mahométan, on ne pense jamais qu’à l’islamisme de l’Asie occidentale ; or il ne faut pas oublier que le cheïk-il-islam de Constantinople lui-même n’est guère mieux qu’un infidèle aux yeux de ses coreligionnaires de Pechawer, de Delhi, de Lahore ; tel est le raffinement de la doctrine au centre de l’Asie. Dans le nord de l’Inde, le flambeau de la vraie dévotion n’est point Stamboul, c’est Bochara… »

M. Vambéry n’est pas de ceux qui en face de pareils adversaires tomberaient dans les sentimentalités d’une politique humanitaire et conciliatrice. Il trouve que l’on manque de vigueur, il regrette les gouverneurs comme lord Clive, il conseille au gouvernement d’être « plus résolument asiatique » dans ses possessions. C’est bien là aussi l’avis des fonctionnaires élevés dans les « bonnes traditions, » et celui d’une partie de la presse métropolitaine, comme le prouve le cas de M. Cowan. Il s’agit de la sanglante répression d’une révolte tentée au mois de janvier dernier par la secte d’ailleurs assez inoffensive des koukas, dans le voisinage du camp de Delhi. Cette secte, fondée il y a dix-huit

  1. Dr W. Hunter, Our Indian Musulmans, 1871.
  2. Gazette d’Augsbourg, 20 février 1872.