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que ce qu’il devait, et il n’a qu’à s’inspirer du même esprit dans toutes les circonstances où s’agite un intérêt national ; mais qu’a dit là M. de Bismarck ? L’Allemagne n’est donc pas l’unique modèle de toutes les vertus patriotiques et autres ? A quels aveux peut conduire l’entraînement parlementaire !

Si la vie publique est laborieuse partout, même en Allemagne, qu’est-ce donc en Espagne ? Ici tout prend en vérité un caractère de plus en plus obscur, peut-être de plus en plus menaçant. L’Espagne vit entre les révolutions d’hier et les révolutions de demain. La trêve qu’elle s’était accordée à elle-même en revenant à la monarchie et en allant demander à la maison de Savoie un nouveau souverain, cette trêve semble aujourd’hui fort compromise par l’acharnement désordonné des partis et par toutes les difficultés que le gouvernement éprouve à se fonder. Le roi Amédée, depuis un peu plus d’un an, n’en est guère qu’à son septième ministère, tant il est facile de faire vivre une monarchie fondée par les opinions radicales ! C’est là en effet la faiblesse de la monarchie actuelle : elle a été créée et mise au monde par les radicaux, elle est obligée d’exister avec une constitution qui est l’œuvre du radicalisme. Elle est aujourd’hui menacée par ceux qui l’ont créée aussi bien que par les anciens partis conservateurs qui l’ont toujours plus ou moins combattue. Lorsque, faute de trouver une majorité quelconque dans le parlement, le roi Amédée se décidait à dissoudre les certes il y a quelques semaines, on pouvait croire du moins que le ministère chargé de la dissolution conduirait les affaires jusqu’aux élections, qui doivent avoir lieu aux premiers jours d’avril. Ce ministère, présidé par M. Sagasta, était composé d’un certain nombre d’anciens progressistes, radicaux modérés, et de quelques membres de l’ancienne union libérale dont le principal était l’amiral Topete, un des auteurs de la révolution de 1868. Il n’a pas résisté à la première secousse, et cette fois c’est à l’occasion d’une promotion de généraux que la crise a éclaté.

Le cabinet allait-il se dissoudre entièrement ? par qui serait-il remplacé ? Le plus embarrassé était évidemment le roi Amédée. Il s’est empressé de faire appel à tous les conseils ; il a consulté tout le monde, les progressistes, les radicaux, les conservateurs, et un ministère a fini par se reconstituer à peu près sur les mêmes bases que le précédent, si ce n’est que l’amiral Topete n’est plus au pouvoir. C’est un ministère aussi conservateur qu’il puisse être dans les conditions actuelles de l’Espagne, avec un mélange incohérent de radicaux modérés et d’anciens unionistes. Il ne resterait donc plus qu’à s’occuper des élections ; mais c’est là justement qu’est le danger aujourd’hui. Quelque influence que puisse avoir le gouvernement, il va se trouver en face d’une de ces coalitions qui sont un des signes les plus crians de l’anarchie morale et politique d’un pays. Tous les partis hos-