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prince-chancelier de Berlin n’en est point là ; il en est à cette période où les victorieux s’irritent de la moindre opposition, prennent ombrage de tout, supposent partout des complots, et finissent par se créer à eux-mêmes l’obligation de vaincre sans cesse, à tout propos et à tout prix, sous peine d’être atteints dans leur prestige. M. de Bismarck en est aujourd’hui à se démener au milieu des difficultés d’une situation parlementaire qui ne laisse pas de devenir assez étrange, La question qui lui vaut ces embarras n’a sans doute au premier abord rien d’essentiellement politique. Il s’agit d’une loi qui a pour objet de fortifier les droits de l’état dans l’enseignement, en faisant passer sous la juridiction du gouvernement l’inspection des écoles. La question s’est bien vite étendue et aggravée. M. de Bismarck, par ses interventions, par son attitude impérieuse, n’a pas peu contribué à lui donner un nouveau caractère d’importance. Il s’est obstiné, il a multiplié les discours, et de tout cela il a fait une affaire personnelle, une question de haute politique et de confiance ; il a menacé la seconde chambre d’une dissolution, et malgré tout il n’a obtenu qu’une fort mince majorité, vingt-cinq voix environ. La loi est allée à la chambre des seigneurs, et voici que dans la commission de la chambre des seigneurs elle compte quinze adversaires sur dix-sept membres. Des personnages haut placés, en relation avec la cour, tels que le prince Radziwill, le comte de Lippe, passent pour être très hostiles au projet du gouvernement. L’opposition s’avoue tout haut en face du chancelier lui-même, si bien que M. de Bismarck, après avoir menacé la seconde chambre d’une dissolution, est réduit à menacer la chambre des seigneurs d’une promotion extraordinaire pour changer la majorité.

La résolution avec laquelle le chancelier soutient cette lutte, à propos de l’inspection des écoles, montre assurément l’importance qu’il y attache. La vivacité impétueuse et hautaine qu’il a déployée dans la discussion témoigne assez de ses préoccupations et même de quelque surexcitation d’esprit. Il est certain qu’il s’est porté au combat avec un feu singulier, frappant un peu de tous les côtés, atteignant de ses coups la fraction parlementaire désignée sous le nom de centre catholique, les Polonais, les partisans des princes dépossédés, du roi de Hanovre, tout ce qui n’est à ses yeux qu’un déguisement du particularisme. Pour le moment, c’est son idée fixe, il voit partout l’ennemi. Naturellement, quand il attaque avec le plus d’ardeur, il prétend toujours qu’il se défend. M. de Bismarck est vraiment très malheureux, il est toujours attaqué par tout le monde ; il faut bien qu’il se défende, ou plutôt c’est l’Allemagne qu’il défend en lui. Quoi donc ! n’est-ce point l’Allemagne aujourd’hui qui est menacée, à ce qu’il dit, d’être opprimée par les Polonais à Posen ? Si encore il n’avait à se défendre que contre les Polonais, les catholiques ou les partisans du roi de Hanovre, ce ne serait peut-être pas bien grave ; mais, dans cette question même de