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drit, les partis se neutralisent ; l’assemblée et le gouvernement, dans leur action ostensible et officielle, se ressentent eux-mêmes de ces confusions énervantes, et en fin de compte on se trouvera un jour, si l’on n’y prend pas garde, avoir tout épuisé sans gloire et sans profit, avoir tout simplement rouvert une issue à l’ennemi commun, au bonapartisme, qui se tient aux aguets, qui espère hériter des violences du radicalisme, si le radicalisme triomphait un instant, des fautes des partis conservateurs, si ces partis continuaient à se détruire eux-mêmes, à offrir le spectacle de leur impuissance. Voilà la question, voilà la vérité ! Il n’y a point à s’y méprendre, tout ce qu’on fait volontairement ou involontairement pour ajouter aux incertitudes publiques, pour ajourner ou pour embarrasser les problèmes les plus essentiels de la reconstitution du pays, ne peut que servir l’ennemi commun. C’est la moralité la plus évidente de cette histoire de quelques jours, pleine de méprises, de réticences, de faux calculs, de tentatives imprudentes et stériles.

Que s’est-il donc passé qui ait pu en quelque sorte mettre le feu à toutes les espérances, provoquer l’explosion de toutes les velléités impatientes des partis, et réveiller des problèmes qu’on était convenu de laisser dormir ? Est-ce que la situation de la France a changé subitement ? L’occupation étrangère a-t-elle cessé de peser sur notre sol ? Le pays est-il réorganisé, et l’indemnité que nous devons à l’Allemagne a-t-elle été payée ? Sommes-nous arrivés à ce point où la délivrance définitive de nos départemens ait marqué le terme de cette trêve des opinions, consentie par tous dans un intérêt de patriotisme et de sauvegarde nationale ? Malheureusement rien n’est changé dans notre situation. L’étranger est toujours à Reims, le fardeau qui pesait sur nous est le même ; ce qui était nécessaire et patriotique à Bordeaux, à Versailles au mois d’août, n’est pas moins nécessaire aujourd’hui.

Non, il n’y a rien de changé, si ce n’est les dispositions des partis, toujours prompts à se lasser de la sagesse et à prendre leur revanche des pénitences qu’ils se sont imposées. Il faut bien avouer aussi que, sans le vouloir, on leur a offert un prétexte, La crise du mois dernier, si promptement qu’elle ait été dénouée par la prudente résolution de M. le président de la république, cette crise n’est point certainement étrangère au mouvement qui s’est manifesté depuis quelques semaines. Elle a eu cela de fatal qu’elle a montré ce qu’il y a de précaire et de vulnérable dans notre situation ; elle a laissé voir, ne fût-ce que dans un éclair, que ce malheureux pacte de Bordeaux, si souvent invoqué, pouvait être emporté à l’improviste dans une heure d’orage. On a fait ce qu’on a pu pour réparer le mal ; mais l’incertitude avait pénétré dans les esprits, et les partis, qui ne demandent qu’un prétexte, ont été jusqu’à un certain point autorisés à se dire dès ce moment qu’ils devaient se mettre en garde contre l’imprévu, se tenir prêts pour toutes les éventualités. Pour les uns, le vrai moyen de se garantir