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tutélaires, plus graves sont les conséquences que l’intervention législative produit fatalement. Un premier bienfait pousse le monde des cliens à de nouvelles exigences; l’état devient une sorte de providence responsable des maux que souffre chaque citoyen, et est tenu de les réparer. L’ouvrier lésé renonçant à la liberté compte en échange sur des secours. En le défendant contre ses propres erreurs, vous vous engagez à le défendre aussi contre la misère. Privé d’un moyen qui lui paraissait efficace, il demandera que la société lui rende l’équivalent de ce qu’elle a supprimé. Le moins qu’on puisse faire est de lui garantir de l’ouvrage et une rémunération convenable; c’est le droit au travail, avec la garantie d’un minimum de salaire. N’est-ce pas là précisément la conclusion à laquelle ont abouti nos pères, lorsqu’ils ont pour la première fois en 1791 érigé en principe l’interdiction des coalitions? L’enchaînement des deux ordres de faits est si étroit qu’à cette époque on a passé sans hésiter de l’un à l’autre. Rappelons-nous encore une fois les paroles de Chapelier, qui, pour motiver la prohibition des sociétés ouvrières, même de celles se disant « destinées à procurer des secours aux ouvriers de la même profession, malades ou sans travail, » s’écriait : « C’est à la nation, c’est aux officiers publics en son nom, à fournir des travaux à ceux qui en ont besoin pour leur existence ! »

Telle est l’extrémité où mène fatalement l’ingérence intempestive de l’état dans les matières que seule la liberté devrait régler; toutes les responsabilités sont déplacées dès qu’on limite par des bornes factices le champ d’action de l’individu. Dans une démocratie, l’égalité de droits doit être poussée aussi loin qu’elle est compatible avec le maintien de la paix publique. Chaque citoyen compte alors pour vivre sur ses propres efforts, et ne se sent plus autorisé à exiger l’assistance d’autrui. C’est là le véritable principe de l’indépendance, et par suite de la responsabilité individuelle. Si l’on repousse l’égalité, il n’est plus que deux formes de sociétés possibles: l’une est la société aristocratique où subsiste une classe privilégiée, un patriciat qui possède la faculté d’imposer des entraves aux classes inférieures, et qui dû même coup accepte la charge de pourvoir à la subsistance et aux besoins des masses. C’est ainsi qu’autrefois on comprenait le patronage. L’autre forme est le césarisme où l’état domine les volontés particulières, où, comme dans le premier cas, en échange de l’autorité qui lui est remise, le gouvernement répond du bon ou du mauvais sort des sujets; chaque plainte de ceux-ci doit-être apaisée par une libéralité ou étouffée par la force ; tel est l’éternel destin des empires absolus et des oligarchies.

Devons-nous marcher dans une de ces deux voies? Poser la ques-