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plus permis de tenter. L’histoire ne se recommence point. Dans d’autres pays, les conquêtes libérales et égalitaires se sont faites plus lentement que dans le nôtre, mais, une fois accomplies, on ne songe pas à les reprendre; chez nous, la fièvre révolutionnaire et les préjugés rétrogrades semblent se combiner pour compromettre la stabilité de nos institutions. On édifie en un jour, et en un jour on voudrait démolir. On n’a pas la patience de faire un essai sérieux de la liberté ni d’attendre qu’après les premiers excès le bien porte ses fruits. Certes les grèves qui se sont produites à la fin de l’empire ont été le plus souvent déplorables, les chefs du parti révolutionnaire ont fait un détestable usage des droits qu’on venait d’accorder. Les ouvriers se sont vus trompés et exploités; sous l’apparence de questions de salaires, c’est le communisme qu’on a propagé, et les prédications ardentes des meneurs démagogiques visaient plutôt au renversement de l’ordre social qu’à des réformes économiques. Ce n’est pas une raison pour croire qu’on ne rétablira la paix publique que par des mesures restrictives ; notre première préoccupation doit être de ne pas fortifier le parti du désordre en fournissant des prétextes aux réclamations des classes les moins favorisées.

Aujourd’hui, lorsque certaines catégories d’individus se plaignent de l’oppression qui pèse sur eux, de l’exploitation du travail par le capital, des chaînes du salariat, on les met volontiers au défi de citer un seul article de nos lois qui justifie leurs déclamations. C’est une grande force pour une société que d’avoir le droit de dire à ceux qui demandent la suppression des privilèges : ces privilèges n’existent plus. L’égalité devant la loi s’est chaque jour, depuis 1789, affirmée par des conquêtes nouvelles; l’extension du cens électoral, puis le suffrage universel, l’abolition de la dernière des dignités héréditaires, la pairie, l’abrogation de l’article 1781, la modification dans un sens favorable aux bourses modestes de nos lois sur les sociétés commerciales, le fractionnement de la rente en petites coupures, la multiplication des caisses d’épargne, le rappel des lois contre les coalitions et des dispositions relatives aux livrets, ne sont-ce point là des pas incontestables faits dans la voie de la démocratie? Les mesures radicales ne pourraient pas rendre l’égalité de droits plus parfaite qu’elle ne l’est après ces nombreuses réformes législatives. Le parti conservateur ne néglige point ce genre d’argumentation, et c’est avec raison, car il s’appuie sur des faits positifs; mais, pour que le raisonnement garde toute sa valeur, il ne faut pas de mesures contradictoires. Or il n’est pas de terrain plus périlleux sous ce rapport que celui des coalitions. En voulant restaurer une législation qui, de l’aveu du gouvernement, était tombée en désuétude lorsqu’elle fut supprimée officiellement, et qui est