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guerres où l’on se lançait sans chef, sans munitions, sans alliances. C’est là un mouvement qui tend à se produire partout. Dès que la liberté des coalitions a été rendue, on a vu en France s’organiser les sociétés de résistance; l’état a d’abord voulu les poursuivre, et plusieurs condamnations ont été prononcées; depuis, l’administration a été plus tolérante. Un certain nombre de ces associations subsistent et se développent; elles ne peuvent que grandir et se propager.

Examinons ce que doit être l’attitude du législateur vis-à-vis de ces sociétés. En dehors même de toute question de principe, le retour pur et simple à l’application rigoureuse des lois prohibitives serait plein de périls. D’abord il est à craindre que, loin de détruire ces groupes dangereux, on les transforme en sociétés secrètes. Contre celles-ci, la compression est vaine : on n’affaiblit pas les mauvaises passions en les forçant à se cacher. L’expérience a été faite successivement par tous les gouvernemens, et les récens exemples que nous offre l’histoire de notre pays devraient nous éclairer sur ce point. Nous le rappelions plus haut : les associations proscrites sous la restauration et la monarchie de juillet ne se sont pas endormies dans l’ombre où on les avait refoulées; elles y ont conspiré, et plusieurs fois elles ont passé du complot à l’action. Les émeutes de Paris et de Lyon ont prouvé quelle influence elles avaient conservée sur les ouvriers. Sous l’empire, malgré l’interdiction des sociétés maintenue pendant quinze ans, l’Internationale a pu se fonder à l’étranger et jeter sur notre sol le germe mystérieux de sa formidable organisation. Trois procès suivis de trois condamnations n’ont pas étouffé cette association, ils lui ont au contraire donné un nouvel éclat. Sans doute les lois compressives peuvent empêcher des sociétés de ce genre de prendre sur-le-champ un grand développement : les amendes, la prison, effraient le vulgaire des adhérons et les détournent d’inscrire ouvertement leurs noms; mais qu’y gagne-t-on? Des adhésions collectives remplacent celles des individus. C’est ce qui déjà sous l’empire avait lieu pour les sociétés ouvrières : celles-ci s’enrôlaient par groupes, et sur les listes de l’Internationale on trouvait des désignations génériques qui embrassaient des professions entières. Chaque ouvrier adhérait, non pas aux statuts de la société centrale directement, mais à une déclaration générale qui engageait le corps d’état. C’était là le mécanisme de la fédération.

D’ailleurs, dans ces grandes ligues révolutionnaires, ce n’est pas la foule des simples soldats qu’il importe le plus de disperser; il faudrait saisir l’état-major. Or c’est là une tâche difficile. Les chefs complotent dans les ténèbres ou sur le sol étranger, et ils échappent aux poursuites. Si la justice parvient à en frapper quelques-uns, les autres s’esquivent, recrutent de nouveaux acolytes, et la