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désordres qu’ils engendrent frappent tous les yeux. Est-ce un motif pour abandonner le droit lui-même? Non. Que le législateur s’ingénie à trouver des moyens sûrs, prompts, énergiques, pour réprimer les fauteurs de violences ou de désordres. Comme l’a dit M. J. Stuart Mill, la première condition de la liberté des coalitions, c’est que celles-ci soient volontaires; jamais on ne punira trop rigoureusement ceux qui par les menaces ou la force, contraignent d’autres ouvriers à faire partie d’une ligue ou d’une grève. Cette condition est dans la pratique difficile à réaliser; mais les raisons supérieures du droit subsistent. Conservons la liberté, et cherchons les meilleurs moyens de la concilier avec le respect des minorités et le maintien de l’ordre public.

La loi de 1864 remplit-elle cet objet? A-t-elle établi nettement la distinction des coalitions légitimes et illégitimes? Il faut d’abord élucider un point qui, en France, comme chez nos voisins, a donné lieu à de vives controverses. Toutes les fois que la question des coalitions a été agitée, une notable fraction de l’opinion publique a demandé la suppression de toute législation spéciale sur ce sujet, et le retour pur et simple au droit commun. Déjà cette réclamation avait été faite en 1849 par une partie de la gauche, et on se souvient qu’en 1864 elle a été de nouveau soulevée avec énergie par l’opposition. La proposition trouvera probablement encore cette fois sur les bancs de l’assemblée un certain nombre de défenseurs. Le parti démocratique a toujours déclaré qu’il considérait le code pénal comme bien suffisant contre les délits qui peuvent naître du droit de coalition; toute pénalité spéciale lui a paru être une injustice. Cette opinion extrême a été soutenue dans chacun des pays où la réforme de l’ancienne législation industrielle a été agitée depuis quelques années; le débat s’est élevé en Angleterre comme en Belgique et en Allemagne. Malgré de nombreuses protestations, les chambres de ces divers pays ont, comme la nôtre en 1864, appliqué aux délits commis dans les coalitions des dispositions pénales particulières; nos législateurs ne mériteraient donc pas sur ce point plus de reproches que ceux des pays voisins. La vive opposition qui est née au sujet du droit commun est-elle bien justifiée? N’attache-t-on pas aux mots une valeur excessive? L’important en cette matière, c’est que la loi ne soit pas une loi d’exception frappant une certaine classe, épargnant les autres. Il est non moins essentiel que les limites de ce qui est permis et de ce qui est défendu soient nettement tracées, que la place laissée à l’interprétation arbitraire soit aussi réduite que possible. Une fois ces principes admis, on peut discuter sur l’opportunité de poursuivre tel ou tel délit, et sur la gravité des peines qu’on inscrit dans la loi; mais la question de forme devient secondaire. Il s’agit d’examiner si la législation exis-