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le rapporteur de 1849, M. de Vatimesnil, réclame l’intervention de la loi contre le concert des capitalistes ou des travailleurs. Toute la question est de savoir ce qu’on appelle la liberté du travail. Voici dans quelles conditions exclusives cette liberté existe suivant M. de Vatimesnil. Il faut, dit-il, considérer deux élémens : d’abord la proportion des offres opposée à celle des demandes, ou, si l’on veut, la quantité des commandes prises en bloc comparée à la quantité des bras qui sont prêts à les exécuter; puis la concurrence à laquelle se livrent entre eux ceux qui font soit les offres, soit les demandes, autrement dit les entrepreneurs et les ouvriers. « Quand ces élémens de la fixation des prix agissent sans entraves, l’industrie, le commerce, le travail, sont libres, et les prix s’établissent d’une manière vraie et loyale. Dans le cas contraire, la liberté est altérée, et les prix deviennent factices. Or les coalitions ont pour résultat manifeste de détruire ou de modifier les effets de la concurrence. Elles sont donc contraires à la liberté du commerce, de l’industrie et du travail. » Est-il besoin d’insister longuement sur les défauts de ce raisonnement? L’auteur y réunit en un seul argument deux considérations très différentes. Les coalitions, dit-il, modifient ou détruisent les effets de la concurrence. Qu’elles modifient la concurrence, on ne peut le nier, car c’est là précisément le but qu’elles se proposent, comme toutes les formes possibles d’association contractée entre des intérêts individuels. Chaque fois que ceux qui font des offres ou des demandes se lient par une société de courte ou de longue durée, par une union, par un syndicat quelconque, ils substituent l’action collective à l’action isolée; la fusion des capitaux en sociétés grandes ou petites, puis des sociétés en vastes agglomérations, leur donne sur les divers marchés une puissance considérable. Toutefois lorsque les contrats qui lient les divers intéressés sont conclus librement, lorsqu’il n’est fait usage ni de la fraude, ni de la force, soit entre les associés, soit à l’égard des tiers, comment prétendre que les associations portent atteinte à la liberté du travail en détruisant la concurrence? N’est-ce pas imiter certains déclamateurs populaires qui, en présence de toutes les grandes sociétés industrielles modernes, crient au monopole? La loi doit être la même pour toutes les associations, qu’il s’agisse du travail ou du capital. Elle ne peut empêcher les intéressés de conclure des contrats tant que les parties n’usent que de moyens légitimes. Si la liberté individuelle ou l’ordre public est violé, que la justice intervienne, c’est son devoir. Tant que les personnes et les propriétés sont respectées, elle doit s’abstenir. Si quelque chose peut compromettre ou détruire la concurrence, ce sont précisément des lois, des règlemens qui viendraient, aussi bien que des menaces ou l’emploi de la force, entraver le droit naturel qu’a chaque individu de