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du droit au travail[1]. La loi du 14-17 juin 1791 défendit « aux citoyens d’un même état ou profession de nommer ni présidens, ni secrétaires, ni syndics, de tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations sur leurs prétendus intérêts communs. » Quatre mois plus tard, les chambres de commerce étaient supprimées (16 octobre 1791).

Le consulat, par la loi du 22 germinal an xi, confirma et aggrava la législation précédente : toute coalition de la part des ouvriers «cessant en même temps de travailler... pour enchérir les travaux» fut punie de six mois de prison; la coalition des patrons n’entraînait qu’une amende de 100 à 3,000 francs et un mois de prison au maximum. Le code pénal de 1810, tout en adoucissant la punition, laissa subsister l’inégalité de peine : les articles 414, 415 et suivans frappèrent les ouvriers coalisés d’un mois au moins et de trois mois au plus d’emprisonnement. Les chefs ou moteurs pouvaient être condamnés à cinq ans de prison et à la surveillance de la haute police; les patrons ne s’exposaient qu’à une amende de 200 à 3,000 francs et à un emprisonnement, variant de six jours à un mois. Ici il n’était plus question de peines spéciales contre les chefs ou moteurs. En outre la coalition des patrons devait être « injuste et abusive » pour donner lieu à des poursuites, tandis que dans l’article relatif aux ouvriers on avait omis ces mots. Sous la restauration et la monarchie de juillet, le maintien de ces lois rigoureuses souleva de vives réclamations : des grèves nombreuses, des agitations sanglantes, des sociétés secrètes habilement fondées, vinrent prouver l’inefficacité des mesures restrictives. « Il ne s’est guère passé d’année durant ce laps de temps, dit M. Levasseur[2], sans que les tribunaux aient eu à juger un ou plusieurs procès de coalition, et pourtant le parquet ne recherchait pas ces procès; il laissait volontiers sommeiller la loi tant que des faits publics de violence ne se produisaient pas. » Malheureusement de sérieux désordres éclatèrent trop souvent; plusieurs émeutes sortirent des conciliabules souterrains des centres socialistes. Néanmoins ce n’est qu’en 1849, à l’assemblée législative, que le débat fut ouvert de nouveau au sujet des coalitions. Cette fois encore, une loi prohibitive fut votée par la majorité; elle a été maintenue jusqu’en 1864, et en ce moment on voudrait nous y ramener.

Quels sont cependant les argumens qui furent alors invoqués? C’est expressément pour assurer la liberté du travail et de l’industrie que

  1. La révolution entrait alors dans la voie qui devait la conduire à de dangereuses innovations; il suffit de rappeler ici le rapport du comité pour l’extinction de la mendicité.
  2. Histoire des classes ouvrières depuis 1789.