Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux conflit, l’ordre ne fut pas un seul instant compromis, la justice n’eut à réprimer que de rares actes d’intimidation. De pareils faits ne se produisent pas sans agir vivement sur l’opinion; le parlement en a tiré des conclusions favorables à la liberté. Ses récentes discussions à propos du bill sur les trades-unions ont prouvé qu’en somme aucun parti ne regrettait le rappel des anciennes lois.

L’exemple de l’Allemagne n’est pas moins frappant. On sait avec quelle persistance ont été maintenus dans ce pays, et notamment en Prusse, les liens corporatifs et administratifs. Brisées une première fois après Iéna par la vigoureuse initiative de Stein, les anciennes entraves se resserrent promptement et ne commencent à se relâcher qu’après 1848. C’est de cette époque que date la propagande d’économistes distingués tels que MM. Schulze-Delitzsch, J. Faucher, Michaëlis, à qui l’on doit l’expansion des associations de crédit populaire, ainsi que les premières réclamations en faveur de la liberté de l’industrie. Malgré leurs efforts, la question des coalitions vint seulement en 1865 à la chambre des représentans. Après de longs débats, où les défenseurs de la liberté eurent à lutter contre l’alliance du parti féodal avec le parti socialiste, une loi libérale fut enfin votée en 1866. En 1869, le principe sanctionné par cette loi a été de nouveau discuté au moment de la délibération générale du code industriel de la confédération du nord et de nouveau confirmé par la majorité; aujourd’hui la liberté des coalitions est complète en Allemagne.

La Belgique a conservé jusqu’en 1866, dans son code pénal, nos anciens articles 414 et suivans; mais, depuis cette époque, elle a imité notre exemple, et elle possède comme nous la liberté des coalitions. Cette liberté existe également en Suisse; le seul canton où les associations ouvrières soient soumises à certaines restrictions est celui de Zurich. Quant aux États-Unis, il suffira d’un trait pour montrer quel degré d’indépendance y est laissé aux unions industrielles. En 1867, un agent diplomatique anglais, ayant reçu de son gouvernement la mission de prendre auprès du ministère américain des informations à ce sujet, écrivait au foreign office : « Le secrétaire au département de l’intérieur m’a répondu qu’il n’existait dans son administration aucun document sur l’objet en question, et qu’il était incapable de me fournir des renseignemens positifs. »

Le principe de la liberté, proclamé par nos voisins, consacré chez nous par la réforme de 1864, peut-il encore être contesté? L’ancienne doctrine d’après laquelle toute coalition des ouvriers ou des patrons était considérée comme illégitime, qui défendait aux entrepreneurs ou aux travailleurs de se concerter pour débattre le prix de la main-d’œuvre et de se retirer simultanément du marché, si leurs