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litions[1]? C’est à ces questions que nous allons essayer de répondre.


I.

Tandis que chez nous on parle de revenir sur la réforme opérée en 1864, les peuples dont l’industrie est parvenue au plus haut degré d’activité marchent d’un pas ferme dans la voie de la liberté. Les Anglais et les Suisses s’y étaient engagés bien avant nous; les Belges et les Allemands nous y ont suivis. Chez ces quatre nations, le principe de la liberté est définitivement consacré; on a reconnu la nécessité de supprimer les vieilles lois prohibitives et d’accorder dans sa plénitude le droit de coalition. En Angleterre, on le sait, la réforme, proposée par Joseph Hume et défendue par Huskisson, date de 1824. Dès cette époque, le ministre anglais déclarait que « les lois contre les coalitions avaient plus que toute autre cause contribué à les multiplier et aggravé les maux auxquels on voulait porter remède. » De son côté, le comité d’enquête disait dans son rapport que « non-seulement les lois existantes étaient insuffisantes contre les coalitions, mais qu’elles produisaient l’irritation et la défiance, et donnaient aux crises ouvrières un caractère de violence qui les rendait éminemment dangereuses pour l’ordre public. »

En aucun pays, les relations des ouvriers et des patrons n’ont été plus réglementées qu’en Angleterre. Le premier statut sur ce sujet remonte au XIVe siècle. Sous le règne d’Edouard III, en 1350, le taux des salaires fut fixé pour les principales professions du royaume. Sous Edouard VI, un autre act constate que des travailleurs « ont conspiré et se sont liés par des sermons, au grand dommage des sujets de sa majesté, pour fixer le nombre d’heures de la journée de travail, » et frappe les coupables de peines rigoureuses : amende de 40 livres, pilori, dans certains cas l’oreille tranchée. Depuis cette époque, trente-sept acts furent successivement votés par le parlement pour régler les difficultés relatives aux rapports des maîtres et des ouvriers; cependant le but ne fut jamais atteint. Lorsque la loi de 1824 abrogea cette longue série d’ordonnances, on venait, depuis vingt ans, d’assister à des grèves terribles. Les trades-unions s’étaient multipliées malgré de nombreuses entraves; leurs menées souterraines, leurs violences et leurs crimes étaient bien faits pour effrayer l’opinion publique. Dès 1807, le père de Robert Peel se plaignait du peu de sécurité dont jouissait la propriété industrielle. « Beaucoup de capitalistes, disait-il, songent sérieusement à transporter leurs biens et leurs familles dans d’autres pays où ils pourront trouver plus de protection. »

  1. C’est là ce que demande le projet de loi déposé récemment par M. Peltereau-Villeneuve et plusieurs autres députés.