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marque déjà qu’on ne trouvait pas au-delà du Rhin un sacerdoce comparable à celui du druidisme celtique, la religion des barbares n’exigeant sans doute ni un si grand appareil ni les soins exclusifs d’hommes engagés par des liens spéciaux. Tacite, de son côté, ne désigne nulle part un clergé germanique; mais il mentionne plusieurs fois des fonctions, religieuses ou simplement civiles, qui sont remplies par des prêtres, en vertu, ce semble, d’une délégation publique et peut-être uniquement à titre temporaire. Il parle quelque part du prêtre de la tribu ou de la cité. Un curieux morceau d’Eunape représente les Goths traversant le Danube pour entrer dans l’empire, et la petite troupe de chaque district emportant ses objets sacrés que le prêtre accompagne. Dans chacun de ces exemples, le prêtre est sans doute une sorte de magistrat, revêtu d’un caractère sacré pendant ses fonctions seulement. Il inaugure, avons-nous dit avec Tacite, les délibérations de l’assemblée nationale par des sacrifices, par la proclamation de la trêve sacrée, par l’injonction du silence. Pendant la session, il réprime seul et punit les infractions à ces ordres; mais il peut être remplacé, du moins pour certains actes d’un caractère civil, par un autre magistrat ou par un simple père de famille.

S’ils n’admettaient pas un clergé proprement dit, les Germains de César et de Tacite connaissaient une véritable noblesse. On n’en saurait douter à voir le soin que met ce dernier à distinguer le noble non pas seulement de l’homme libre, de l’affranchi et de l’esclave, mais encore de l’homme qui a conquis simplement une illustration personnelle. Une noblesse s’appuie d’ordinaire sur des privilèges héréditaires. Si celle-ci ne pouvait se fonder sur la propriété foncière, qui n’existait pas, peut-être jouissait-elle d’un double wehrgeld; c’était dans ses rangs du moins qu’on choisissait volontiers les magistrats, et que, pour certaines tribus, se comptaient les titulaires de la royauté. La plus grande puissance de cette aristocratie avait dû être contemporaine des plus anciens temps de la Germanie ; la lutte contre Rome et les troubles de l’invasion en hâtèrent la chute, et, chez les peuples immédiatement mêlés à ces agitations, les familles nobles de sang royal survécurent seules, ou peu s’en faut.

La royauté germanique, elle aussi, dut être une institution fort ancienne, destinée en tout cas à demeurer très vivace. Les Cimbres et les Teutons la pratiquaient déjà. César ne la connaît pas : suivant lui, les peuples barbares n’avaient pas de chef commun pendant la paix; mais César n’a guère connu en Germanie que les Suèves et les tribus voisines, situées non loin de la région rhénane, tandis qu’au contraire. Tacite nous le dit, c’étaient surtout les peuples orientaux