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gen nous rappellent. Toutefois Tacite nous est témoin d’un sérieux progrès. « Le maître tue quelquefois ses esclaves, dit-il, mais seulement en général dans un mouvement de colère, comme on tue un ennemi, à cela près que c’est impunément; » de sorte que, sauf la punition ou le wehrgeld, la vie de l’esclave est en somme presque autant sauvegardée chez ces barbares que celle de l’homme libre. Tacite remarque que les esclaves germains ne sont pas, comme ceux de Rome, attachés à la personne du maître, à son service honteux et corrupteur, mais plutôt à la glèbe, avec condition d’une redevance en blé, en bétail, en vêtemens; nous avons vu la tradition eddique décrire le travail servile presque sous les mêmes couleurs que celui de l’homme libre, plus pénible et plus grossier seulement. L’esclavage conserve sans doute chez les Germains ses sources particulières : le jeu et les dettes font perdre à beaucoup, dit Tacite, leur liberté; les enfans nés de mariages entre hommes libres et esclaves sont esclaves eux-mêmes. Cependant la source principale, c’est la guerre; ce sont les vaincus qu’on réserve, ce semble, soit pour les sacrifices aux dieux, soit pour la servitude. Germanicus ramena plus d’une fois des convois de soldats romains pris par les barbares et par eux réduits en esclavage. Quand sa flotte fut dispersée à l’embouchure de l’Ems par ce terrible orage que Tacite a si admirablement décrit, beaucoup d’entre eux, échoués sur les côtes septentrionales, éprouvèrent le même sort; il fallut les aller racheter en Germanie. Les sagas islandaises montrent, à côté de l’esclavage proprement dit, le travail libre protégé par la loi, et les langues germaniques ont encore au commencement du moyen âge toute une série d’expressions qui dénotent plusieurs degrés entre les dernières classes. Celle de lite ou lète, par exemple (lezisto, letzte, le dernier, le plus paresseux), avant de s’appliquer au barbare qui, en échange de terres concédées, s’est engagé envers l’empire au service militaire et à une redevance, paraît avoir désigné tout d’abord une condition d’asservissement modéré. Il en était de même sans nul doute de la condition représentée par le mot meier ou meiger : c’était le serviteur surveillant ou intendant, le villicus romain, le majordome et plus tard le maire. Tacite nous dit, en parlant des Suèves, que les esclaves germains se distinguaient des hommes libres en ce qu’ils n’avaient pas la permission de porter les cheveux longs; probablement il y avait aussi des différences de vêtemens que nous ne pouvons reconnaître aujourd’hui. Quant à l’affranchissement, les nombreuses cérémonies et formules, dont Grimm a recueilli les traces ultérieures, prouvent qu’il était très fréquent en Germanie avant même que l’influence chrétienne vînt le multiplier.

Il n’y avait pas sans doute d’aristocratie sacerdotale. César re-