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acceptaient une noblesse héréditaire, quelquefois même une royauté. Un grand peuple issu d’eux a su conserver à travers toutes les vicissitudes et concilier, sans compromettre finalement la liberté, des institutions si diverses.

Le régime oriental des castes était inconnu des Germains, mais non pas un système de classes dont les cadres n’étaient pas infranchissables. Un des poèmes de l’Edda raconte que Heimdal, l’un des Ases, visita la terre et voyagea, sous le nom de Rig. Il arriva près d’une maison entr’ ouverte. Aï et Edda, vêtus à l’antique, les cheveux blanchis au travail, étaient assis près du foyer. Rig partagea leur grossier repas, puis il dormit entre les deux pauvres époux, et Edda mit ensuite au jour un fils nommé Træl, au noir visage, aux longs pieds, au des courbé, aux doigts épais. Il employa ses forces à tresser des écorces, à porter chaque jour des fagots au logis. Ses fils et ses filles fumèrent les champs, élevèrent les porcs, firent paître les chèvres et exploitèrent la tourbe. C’est l’origine de la race des esclaves. — Rig entra dans une maison entr’ouverte. Afe et Amma, l’homme et la femme, étaient près du foyer; le mari préparait le bois pour l’ourdissoir et le tissage; sa femme faisait tourner le rouet et réparait les vêtemens. Rig dormit entre eux, et Amma donna le jour à un fils nommé Karl, qui apprit à dompter les animaux, à construire des granges et à labourer. On lui amena sa fiancée : ils se marièrent et eurent des fils et des filles d’où descendit la race des hommes. — Rig entra dans une salle au plancher parsemé de sable. Fader et Moder y étaient assis : le père fabriquait l’arc et taillait les flèches; la mère, aux longs habits et au sein blanc, disposait le linge. Elle couvrit la table et y posa des gâteaux de froment, du vin, des viandes et du fruit. Rig dormit entre eux, et Moder donna le jour à un fils nommé Jarl, aux cheveux blonds, aux yeux brillans. Il grandit au logis, il monta à cheval, il lança le javelot, il mania le glaive; de plus, il apprit les runes. Il épousa la blanche Erna, et leurs enfans furent les premiers des nobles.

Voilà par quels principaux traits le mythe scandinave représente l’origine des esclaves, celle des hommes libres, celle des nobles. On voit que Træl, Karl et Jarl, les trois ancêtres, sont également fils d’un dieu. Le mythe est d’accord sans doute avec la réalité historique en montrant l’esclavage soumis chez les Germains, dès l’antiquité la plus lointaine que nous puissions atteindre, à des conditions moins dures que dans le monde classique. Assurément, chez les barbares aussi, on vendait ses esclaves comme un bétail, on les égorgeait pour les sacrifices, on les brûlait sur le bûcher de leur maître, ou bien on les ensevelissait dans le même tumulus. Ce sont là des faits d’une antiquité primitive que les Eddas et les Nibelun-