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ce vêtement sur les épaules et l’enveloppe, pour ainsi parler, dans son terrible devoir. Ils sont liés désormais, lui et les siens, ils ne pourront laver ce sang dont ils sont couverts qu’en versant celui des agresseurs. Telle est l’antique coutume en vigueur à l’époque de Tacite, et qui se perpétua, comme on sait, longtemps encore. C’était la cause, ou quelquefois seulement le prétexte, d’interminables guerres privées. Toutefois nous voyons déjà paraître un adoucissement à ces prescriptions cruelles. La composition, ce que les lois barbares appellent le wehrgeld, se substitue à la vengeance, même pour le meurtre, luitur etiam homicidium certo armentorum ac pecorum numero. Bien plus, lors de certaines fêtes religieuses, quand la divinité descend sur la terre et visite les bommes, quand la déesse Nerthus par exemple, montée sur son char que traînent les génisses, sort du bois sacré et parcourt, suivie du prêtre, tout le pays à l’entour, ou bien lorsque sont célébrés les sacrifices en l’honneur de Mercure, de Mars, d’Hercule et d’Isis, c’est-à-dire du grand dieu Odin, de Tyr ou Zio, de Thor et de Freya, toute guerre doit s’interrompre, tout procès doit être suspendu. À ces époques solennelles aussi bien sans doute que pendant les sessions du thing, c’est-à-dire de l’assemblée publique, comme nous le voyons plus tard dans le nord, une paix particulière est proclamée qui protège les routes conduisant au lieu de réunion, l’assemblée elle-même et tous ceux qui s’y rendent. Celui-là seul est exclu de cette protection générale qui, condamné, est devenu l’outlaw, l’exilé hors la loi. Les monumens de la littérature norrène, lois et chroniques de familles, offrent en grand nombre les belles formules, empreintes de la poésie du droit primitif, qui servaient à proclamer ces trêves bienfaisantes. Bien que ces monumens se rapportent à des temps postérieurs, les analogies sont telles que nous pouvons sans doute les invoquer. Voici par exemple la formule que nous a conservée la Grettis saga :


« Nous proclamons, la main dans la main, qu’il y aura paix ici pour tout le monde, amis et alliés, hommes et femmes, esclaves et servantes. Que maudit soit celui qui violera cette paix solennelle; qu’il soit exilé sur la terre, partout où l’homme écarte de sa demeure les bêtes fauves, partout où le feu brûle et où la terre verdoie, partout où la mère enfante le fils et où l’enfant qui commence à parler appelle sa mère; partout où l’homme allume un foyer, où le bouclier luit, où le soleil brille, où la neige s’étend au loin; partout où croît le sapin, où le faucon vole (que le vent propice enfle ses ailes!); partout où la terre est cultivée, où les eaux descendent vers la mer, où le laboureur sème le grain. — Et nous, soyons réconciliés et partout unis, sur montagne ou rivage, sur terre ou glacier. Joignons nos mains, observons la foi jurée. »