Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce graduel développement du génie germanique dont Tacite a eu si vivement conscience. — Le père nous apparaît encore en possession, légalement du moins, de ses vieux droits excessifs. La loi lui permet toujours d’exposer ses enfans, de vendre comme esclaves, de châtier jusqu’à la mort et ses enfans et sa femme, s’ils ont commis des fautes. On trouvera réunis dans le second livre des Antiquités du droit allemand de Jacques Grimm, au chapitre II, qui a pour titre Vatergewalt, la puissance paternelle, toute une série d’exemples montrant la pratique de ce droit rigoureux pendant un long temps encore. Cependant on aperçoit des restrictions. Tacite vient de nous dire, à propos du châtiment de la femme adultère, que ses parens étaient présens quand le mari la chassait de la demeure conjugale, coram propinquis expellit domo maritus. De même les parens et les proches de la femme étaient intervenus lors de la cérémonie des fiançailles pour examiner et accepter les présens de noce, intersunt parentes et propinqui et munera probant. Ces indications de l’écrivain romain nous décèlent probablement l’existence légale d’une sorte de conseil de famille en possession de limiter ou tout au moins de contenir l’autorité du père. Si l’on ne veut pas reconnaître ici un progrès, mais plutôt une trace persistante de l’autorité de la tribu pénétrant au sein même de la famille, un pareil doute ne subsistera pas en présence de cette autre information que nous donne Tacite : « Le meurtre des nouveau-nés est un acte que l’esprit public flétrit et réprouve, et les bonnes mœurs ont là plus d’empire que n’en ont ailleurs les bonnes lois. — Quemquam ex agnatis necare flagitium hahetur; plusque ibi boni mores valent quam alibi bonœ leges. » Voilà nettement accusé ce progrès des mœurs qui va en avant des lois, et, sans rompre ouvertement ni avec ces lois ni avec la tradition ancienne, s’en sépare cependant et y substitue peu à peu des usages bientôt impérieux, puis une légalité et même une tradition moins barbares. On ne peut mieux désigner cet état de transition pendant lequel les mœurs interdisent déjà des violences que les lois n’ont pas commencé de proscrire. — Il en va de même pour le traitement des esclaves : le maître a le droit de les tuer, et cela lui arrive dans les momens de colère; mais ce sont des excès qu’on réprouve, et la condition servile, en général, n’est pas trop rigoureuse.

Récemment encore, un des plus imprescriptibles devoirs imposés à chaque membre de la famille était de poursuivre sans relâche et sans pitié la vengeance pour une injure commune. Dans une saga scandinave, une femme dont le mari vient d’être assassiné recueille soigneusement le manteau trempé de son sang; quand arrive au lieu du meurtre un des proches parens de la victime, elle lui jette