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duquel il dit quelque part qu’on ne saurait suivre un guide plus sûr, un plus véridique témoin. Il est donc probable que sa narration s’accorde avec celle de son prédécesseur, ou bien, s’il y a des différences, elles auront été sans doute marquées en traits particulièrement précis et non équivoques. Or ce qui résulte, à ne s’y pas tromper, de l’assentiment des deux auteurs, c’est que les anciens Germains pratiquaient la communauté des terres et ignoraient l’usage privé de la propriété foncière. César, dans les deux passages que nous venons de citer, le déclare aussi clairement que possible. Le territoire appartient à la tribu, qui, chaque année, par ses chefs, appelle aux travaux indispensables de culture les divers groupes qui la constituent. Chacun de ces groupes est composé non pas seulement d’une famille dans le sens restreint du mot, mais de plusieurs ménages ou individus rapprochés par les divers liens de la parenté, de sorte que le lot de terre n’est pas même confié temporairement à un seul père de famille, mais à plusieurs, et qu’il n’y a réellement, selon César, nul vestige de propriété foncière privée. Plus d’un trait dans la Germanie de Tacite confirme cette interprétation. Dans le curieux chapitre où il dit comment se constitue d’ordinaire le double apport des fiancés, il se garde bien de mentionner la propriété foncière. Il n’en est pas non plus question parmi les présens que le chef distribue entre ses compagnons de guerre à titre de récompense, ni quand il s’agit de conclure des arrangemens en forme de wehrgeld. Suivant le texte de plusieurs coutumes écrites de l’Allemagne du moyen âge, le bien-fonds ne peut être saisi en justice, vestige d’un droit primitif qui ne connaissait la propriété foncière qu’avec un caractère public et inaliénable.

Qu’un tel système ait été un obstacle au développement agricole, cela est évident. Si l’on observe quels produits obtenaient les Germains, quelles céréales et quels légumes servaient à leur nourriture, on se convaincra qu’une maigre production répondait à la culture superficielle qui nous est décrite. Ainsi se perpétuaient le marécage, la lande et la bruyère, et cet aspect misérable du sol qui inspirait aux Romains et à Tacite une sorte de répugnance mêlée de crainte. Or c’est bien là l’état informe qui convient à des tribus guerrières, cherchant la conquête, à peine fixées pour des périodes incertaines et par capricieuses étapes, quelquefois même ne s’arrêtant que pour l’indispensable besoin de leur nourriture et de celle de leurs bestiaux. C’est bien la condition que dépeint César quand il dit qu’alternativement chaque année, dans chaque canton, la moitié des hommes valides se charge de porter les armes, et l’autre moitié de cultiver la terre; de pareils termes excluent formellement la propriété foncière privée.