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tant dans le nord de l’Europe même pendant le XIe siècle. L’usage du fer n’était pas très fréquent chez eux : Tacite l’affirme pour une de leurs tribus, et les témoignages de l’archéologie paraissent démontrer qu’il en était de même pour toutes. La connaissance de l’écriture ne leur était évidemment pas familière; les runes ne pouvaient être d’un populaire emploi. Enfin, pour tout dire, un catalogue de superstitions condamnées par l’église, catalogue inséré dans les recueils des lois dites barbares, mentionne comme tout germanique et païen l’usage de faire du feu avec deux bâtons frottés l’un contre l’autre; à en juger par la difficulté pour l’homme civilisé de se servir d’un tel moyen, il est permis de le considérer comme un attribut de l’état primitif. Toutefois il n’est pas admissible que ces peuples aient pratiqué une entière nudité, comme on l’a voulu conclure de quelques mots de César et de Tacite ; à défaut d’autres raisons, celles qu’on peut tirer du climat, qui n’a pas changé, paraissent très suffisantes : les textes qu’on a remarqués s’appliquent seulement aux enfans. Quelques paroles de Pomponius Mêla, au Ier siècle de l’ère chrétienne, les représentent comme se nourrissant de chair crue, mais ne sont pas confirmées par César et par Tacite. Rien n’autorisait donc Robertson et Gibbon à mettre sur la même ligne les Germains du Ier siècle et les sauvages du Nouveau-Monde. Ils ont établi un parallèle entre les relations des voyageurs modernes sur les mœurs des indigènes américains, Natchez, Mohicans, Hurons ou Delawares, et les récits des anciens sur les mœurs germaniques. Ce parallèle ne pouvait devenir concluant que si, de part et d’autre, on rencontrait tout au moins les mêmes têtes de chapitres; mais au compte des mœurs américaines il manque précisément ceux des traits germaniques qui sont destinés à un développement ultérieur, c’est-à-dire les germes féconds, tels que le respect du mariage, la constitution régulière de la justice, la distinction hiérarchique entre diverses assemblées publiques. On n’attend certes plus rien des pauvres tribus de l’Amérique; la plupart ont disparu déjà sous la domination des conquérans européens; elles se sont montrées également incapables de résistance et d’éducation. Il est de plus impossible d’entrevoir dans leur passé les moindres traces d’un progrès accompli, tandis que les anciens Germains, à chaque fois que les documens historiques permettent de distinguer quelque chose de leur état social, apparaissent en transformation et en progrès. C’est qu’il n’y a pas lieu en réalité de confondre ce que l’antiquité classique appelait les barbares avec ce que nous appelons les sauvages. Parmi ces barbares d’autrefois, l’histoire a compté des peuples appelés à prendre une large part à de grandes époques et à de grandes œuvres de civilisation, tandis qu’on désigne du nom de