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Le paiement en obligations de chemins de fer, c’est-à-dire au moyen d’une hypothèque sur ces entreprises, serait pire encore. Si l’Allemagne l’acceptait, ce serait à la condition que le gage ne pût jamais être altéré ; elle aurait à ce titre le droit de s’immiscer dans l’administration de nos compagnies, de s’opposer à toute diminution de tarifs sous prétexte que sa garantie y perdrait, et surtout d’empêcher que l’état créât des concurrences aux lignes dont elle aurait les obligations ; nous serions à sa merci pour la plus importante de nos industries. Une telle situation ne serait pas tolérable.

Nous sommes, en présence de l’occupation prussienne, comme un malade qui s’agite sur son lit de douleur, et qui, irrité d’attendre sa guérison, prête l’oreille aux empiriques. Dieu nous garde d’expédiens dont le seul résultat serait d’aggraver le mal ! Nous avons, malgré nos désastres, conservé notre crédit à peu près intact. Sachons l’utiliser pour nous tirer d’embarras en nous procurant aisément et à bref délai toutes les ressources dont nous avons besoin. Profitons seulement de nos richesses acquises et des moyens que nous avons d’en créer de nouvelles pour amortir rapidement l’emprunt que nous allons contracter, pour dégrever l’avenir, et laisser aux générations qui suivront une situation allégée du poids de nos malheurs. Nous aurons ainsi bien mérité de la patrie en accomplissant à la fois un acte de justice et de bonne administration financière. On presse beaucoup le gouvernement de se mettre à la tête du mouvement en faveur de la libération du territoire, et de se prononcer dès à présent pour un des moyens qui sont proposés. On suppose par exemple que, s’il prenait la direction de la souscription publique, elle réussirait mieux qu’en étant abandonnée à l’initiative individuelle. Cela n’est pas parfaitement sûr, et dans tous les cas il y aurait des inconvéniens sérieux à ce que l’état vînt s’en mêler. Si cette souscription devait échouer, l’échec serait plus grave sous la direction du gouvernement qu’avec l’initiative individuelle, et, si elle devait réussir au contraire, il vaudrait mieux encore que le succès fût dû à l’élan spontané de la nation qu’à une influence administrative. Il y aurait pour le pays plus d’honneur, et l’effet moral serait plus considérable. S’agit-il des autres projets indiqués pour réaliser les sommes dont nous avons besoin, le gouvernement n’a pas à s’en occuper, puisqu’il ne peut songer à en appliquer aucun pour le moment. Il n’a donc qu’à s’abstenir et attendre. Son intervention aujourd’hui serait plus nuisible qu’utile, elle exciterait des espérances qu’on n’est pas en mesure de satisfaire, et pourrait compromettre l’avenir.


VICTOR BONNET.