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pas tout le monde au même degré ; mais ici, dans une question de patriotisme, elle serait d’un factieux effet pour la dignité de la nation. Il faut se dire enfin qu’on pourrait bien ne pas arriver à ce minimum de 500 millions. Si on n’y arrive pas, qu’en résultera-t-il ? On a voulu, par cette souscription, en même temps qu’alléger les charges du trésor, relever le moral de la France, montrer ce qu’il y avait encore de patriotisme et de richesse dans notre pays. Que dira-t-on si on échoue ? Si, au lieu de 3 milliards, on ne réalise que 50 millions ou 100 millions, accusera-t-on notre patriotisme ? On aurait tort ; — ce serait aussi injuste que si on prétendait que la France, après avoir perdu à Sedan son armée régulière, la plus grosse partie de son artillerie, a manqué de courage parce qu’elle n’a pas su trouver dans des levées volontaires les moyens de repousser les Prussiens : mais on s’en prendra aux promoteurs de la souscription, on leur reprochera de ne pas s’être rendu compte de la difficulté de leur œuvre, et, pour avoir voulu trop glorifier la France, de lui avoir préparé un échec moral. Il faut peut-être regretter qu’on ait laissé le patriotisme s’égarer dans une voie sans issue, au lieu de chercher tout de suite des combinaisons plus sérieuses.

Nous ne reconnaissons pas davantage ce caractère au projet d’un grand emprunt avec lots et primes, tel que celui qui a été proposé par M. de Soubeyran. Dans ce système, toute obligation, émise à 100 francs par exemple, serait remboursée à 200 francs par voie de tirage au sort dans un délai de soixante ans ; ces obligations participeraient en outre à des tirages de lots qui auraient lieu chaque mois jusqu’à concurrence de 500,000 fr., soit de 6 millions par an, mais ne recevraient aucun intérêt. Ce projet, on le voit, s’appuie exclusivement sur les chances de la loterie ; on suppose que, jointes au patriotisme, elles auront la vertu d’attirer les capitaux. D’abord rien ne serait plus immoral que le succès d’une pareille combinaison. C’est déjà trop que depuis la suppression de la loterie le gouvernement ait autorisé, par voie d’exception, quelques emprunts avec lots en faveur du Crédit foncier et de la ville de Paris, sans parler du trop fameux emprunt mexicain. Il n’est pas bon qu’une nation ait de temps en temps sous les yeux l’exemple de gens qui doivent leur fortune à un tour de roue ; c’est décourager le travail et l’économie patiente. Le danger croit ici avec l’importance d’un emprunt auquel la France entière serait invitée à prendre part. Sous prétexte de patriotisme, on exciterait une des plus mauvaises passions de la nature humaine, celle du jeu," et, loin que la fin justifiât les moyens, on pourrait se demander si le remède ne serait pas pire que le mal, et s’il ne vaudrait pas mieux garder encore les Prussiens quelque temps dans nos provinces que de les renvoyer à l’aide d’un pareil moyen. Ce système du reste a peu de chance