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der au fond des choses, on ne tarde pas à se convaincre qu’elle est difficilement réalisable. La France compte encore aujourd’hui, après la perte de l’Alsace et de la Lorraine, environ 37 millions d’habitans ; la contribution de chacun pour arriver au chiffre de 3 milliards devrait être de 81 francs, soit pour une famille de quatre personnes 324 francs. Or peut-on supposer un moment que toutes les familles en France soient en état de s’imposer un si lourd sacrifice ? Mais, dira-t-on, les riches contribueront pour les pauvres, et toute souscription qui dépassera 324 francs allégera d’autant la part des autres. — C’est là en effet le mirage qui trompe beaucoup de personnes. On se figure trop facilement qu’il y a assez de grandes fortunes pour compenser les petites et payer à la place de ceux qui ne peuvent donner. La France est très riche assurément, mais la fortune y est extrêmement éparpillée, et la plus grosse part de beaucoup est entre les mains de gens chez lesquels elle constitue à peine l’aisance. On en aura la preuve en consultant le tableau de la contribution foncière. Voici des chiffres que nous empruntons à la statistique officielle de 1862, dressée sous les auspices du ministre du commerce. En 1858, sur 12 millions 1/2 de cotes foncières, 6 millions étaient au-dessous de 5 francs, 6 autres millions au-dessus jusqu’à 100 francs, et 500,000 seulement dépassaient le chiffre de 100 francs, parmi lesquelles 15,000 au-dessus de 1,000 francs. Voilà ce qu’était la fortune immobilière en France en 1858 ; si les chiffres ont varié depuis, c’est plutôt dans le sens d’une plus grande division encore. Quant à la propriété mobilière, on peut supposer, avec la diffusion de la rente, des actions et des obligations, de tous les titres enfin qui la constituent, qu’elle est également très divisée. Il n’y aurait donc, d’après la répartition de la propriété foncière, de réellement riches et capables de payer une contribution un peu forte que 15,000 personnes, dont la cote est supérieure à 1,000 francs ; si on ajoute un nombre égal pour la fortune mobilière, voilà 30,000 chefs de famille qui seront chargés, par leurs grosses souscriptions, de diminuer sensiblement la moyenne supportée par la masse. Admettons qu’ils fournissent à eux seuls 1 milliard, ce qui ferait pour chacun environ 34,000 fr., la cotisation est considérable, et serait pour beaucoup d’une réalisation assez difficile. Admettons encore qu’un autre milliard soit souscrit par ceux dont la cote est entre 100 et 1,000 francs ; il faudra toujours demander le troisième milliard aux 6 millions de cotes inférieures à 5 fr. et à celles, en nombre égal, qui ne dépassent pas 100 fr., c’est-à-dire à des personnes qui ne sont pas même dans l’aisance ; la contribution pour chacune d’elles se trouverait être de 83 fr. On disait tout à l’heure que la plus grande part de la richesse publique était dans les mains des gens les moins aisés. Veut-on