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sur une croyance qui leur défendait d’admettre un anéantissement définitif d’Israël; mais qu’est-ce que cette croyance, si ce n’est la forme religieuse du sentiment qui anime les âmes d’élite d’un peuple dont l’idée, dont le génie national est toujours vivant? C’est pourquoi, tout en constatant ce qui blesse notre sentiment moderne dans leur conduite, nous ne pouvons leur refuser l’hommage dû à toute entreprise de relèvement et de régénération nationale. Quelque jugement que nous portions sur maint détail de leur œuvre, il faut reconnaître qu’ils prirent le seul chemin qui pût les mener au but proposé. Ils rappelèrent Israël à son principe, à son idée, à ce qui faisait sa raison d’être parmi les nations, au monothéisme, et subordonnèrent tout le reste à cette question de fidélité.

Grande leçon que d’autres nations accablées par le malheur peuvent s’approprier pour s’ouvrir à l’espoir d’un meilleur avenir! I! est d’autres peuples que les Juifs qui portent dans leur histoire les marques d’une haute vocation. Comme les Juifs, ils trahissent trop souvent leurs destinées en se refusant aux longs efforts et aux sacrifices qu’elles exigent. Comme les Juifs, ils semblent prendre plaisir à infliger aux principes qu’ils ont le plus vaillamment proclamés les honteux démentis qu’inspirent l’égoïsme, la paresse d’esprit, la superstition et la sensualité. Ils perdent alors leur dignité, tombent au-dessous d’eux-mêmes, et se lancent follement dans les aventures. Alors surviennent les catastrophes; mais tant que leur mission historique, tant que leur tâche religieuse ou sociale n’est pas achevée, il ne leur est pas permis de mourir. Que doivent donc faire ceux qui ne veulent pas croire à la mort de leur patrie et désirent travailler à sa renaissance glorieuse? Comme les hommes forts de la captivité de Babylone, ils doivent ramener leur peuple à son idée vitale, aux principes qui font sa vraie grandeur, aux devoirs austères qui en découlent, et subordonner tout le reste. Si un peuple vit de monothéisme, ramenez-le au monothéisme; s’il vit de liberté et de lumière, faites qu’il redevienne le grand foyer de la liberté et de la lumière. Le succès est à ce prix, et à ce prix il est certain; toute autre méthode n’aboutirait qu’à de nouvelles calamités. Qu’on me pardonne cette digression : poursuivi par le bruit de nos désastres au sein de cette antiquité juive où j’avais cherché un refuge, amené par cela même à rechercher comment un peuple tombé avait pu remonter hors de l’abîme, que de fois j’ai pensé à notre pauvre France !


ALBERT REVILLE.