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vieille religion d’Israël, qui se composait presque uniquement d’anciennes traditions, historiques ou rituelles, confiées très longtemps à la simple transmission orale, devint avec le judaïsme une religion « du livre. » Les conséquences de cette transformation furent immenses. Entre autres, nous pouvons citer le christianisme, sa propagation, la réforme et les premiers essais sérieux d’instruction populaire. Le jour où, pour bien connaître sa religion, il fallut savoir lire, est peut-être le plus fécond de l’histoire.

Ézéchiel, Zorobabel, Esdras, Néhémie, tous les hommes de la restauration juive eurent beau faire; ils ne purent forcer la nature des choses, et en particulier les espérances enivrantes de domination, de gloire, de prospérité inouïe, qui devaient être le partage du peuple enfin devenu digne de son alliance avec Jehovah, restèrent toujours des illusions; mais ils réussirent certainement dans leur œuvre commune, le relèvement et la régénération de leur peuple. Le monothéisme, grâce à eux, devint indéracinable. Il contracta dans l’esprit juif la dureté du diamant, et, lorsque d’autres révolutions le mirent en contact avec le plus séduisant de tous les génies, avec ce génie grec qui sut s’imposer à tout le monde antique, les Juifs furent les seuls qui lui. opposèrent une indomptable résistance. La fidélité au principe monothéiste les rendit victorieux de la royauté syrienne et des raffinemens corrupteurs, plus dangereux que ses armes, qu’elle voulut introduire dans les mœurs et les goûts de ses sujets palestins. Là même où, comme à Alexandrie, ils se virent forcés d’emprunter à la Grèce des formes de pensée, des raisonnemens, une philosophie, il fallut admettre, pour qu’ils se donnassent à eux-mêmes l’absolution, que Platon n’avait eu tant de sagesse que parce qu’il l’avait dérobée à Moïse. Sans doute cette inébranlable fermeté ou plutôt les illusions dont elle était le soutien furent cause aussi des affreux malheurs de ce peuple; cependant ceux qui pensent que la grandeur des peuples, comme le mérite des individus, n’est pas diminuée par la somme des maux qu’ils auraient pu éviter par leur insignifiance, seront d’avis que ces hommes du retour de Babylone ont engendré une des grandes nations de l’histoire. Il est peu d’exemples qui prouvent mieux combien le patriotisme et la foi dans une grande mission auraient tort de se laisser abattre par les revers et les désastres. Quand on se reporte à l’état dans lequel Ézéchiel et Esdras trouvèrent leur malheureux peuple, vaincu, ruiné, plus que décimé par la guerre et les supplices, disloqué en plusieurs tronçons au milieu d’un vaste empire hostile et qui semblait invincible, on se demande presque avec effroi comment ils purent un seul instant nourrir l’espoir d’un meilleur avenir. Il est vrai que leur conviction reposait