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fidèle, eussent été miraculeusement reproduits sous sa dictée sans qu’il en manquât un seul mot. Dans les temps modernes, il s’est trouvé des savans qui exagérèrent dans un sens analogue l’importance de son œuvre, mais prétendirent que le Pentateuque, Josué, les Juges, en un mot tous les livres historiques d’Israël jusqu’à la captivité, étalent un produit de sa plume.

Ces assertions absolues jurent avec les faits constatés. Il est évident par exemple qu’une partie fort considérable du Pentateuque, le Deutéronome, appartient à une époque antérieure à celle d’Esdras. Il ne l’est pas moins que d’autres fragmens du Pentateuque, et spécialement les documens dont on peut discerner encore aujourd’hui la différence d’origine malgré les sutures plus ou moins heureuses qui tâchent de leur donner une apparence d’unité, ne peuvent provenir d’un seul et même travail de rédaction; mais, tout cela posé, il ne faut pas nier que les découvertes de la critique relativement aux trois étages de lois que l’on peut distinguer dans la législation dite mosaïque nous obligent désormais à prêter à Esdras une très grande part, au moins de surveillance et de direction, dans la rédaction du Pentateuque, dont la clôture définitive ne peut pas avoir eu lieu avant lui. C’est par ce côté que, comme nous l’avons dit au commencement, les nouvelles études entraînent une modification importante des théories qui, récemment encore, étaient admises dans la science sur la formation des livres attribués à Moïse.

Signalons enfin la dernière grande innovation dont la captivité de Babylone fut l’occasion ou plutôt la cause. C’est depuis lors, ou du moins depuis le grand travail d’Esdras, que les Juifs eurent des livres sacrés. La tradition voulut même lui attribuer l’honneur d’avoir « bouclé, » c’est l’expression technique, c’est-à-dire clôturé définitivement le canon ou la liste des livres sacrés de l’Ancien-Testament. Cela ne peut plus se soutenir. Le canon actuel renferme des livres tels que l’Ecclésiaste, Daniel, bien des psaumes, qui sont évidemment postérieurs à Esdras, et les savans juifs nous ont appris que le canon de leurs livres saints ne fut pas définitivement arrêté avant le second siècle de notre ère. Il reste vrai que l’on peut faire remonter à Esdras la formation d’une littérature sacrée, mise à part pour les besoins du culte et de l’enseignement religieux. Les livres de la loi furent naturellement les premiers qui reçurent cet honneur; bientôt on y joignit les écrits des prophètes. Le culte célébré dans les synagogues réclamait impérieusement cette base, et c’est seulement par la lecture et l’interprétation régulière d’un certain nombre de livres religieux que la loi avec toutes ses minuties pouvait se graver dans la mémoire du peuple. C’est ainsi que la