Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et il serait étrange qu’un mythe, dont au surplus l’existence chez les anciens Perses est encore à prouver, eût permis de transformer les divinités qui y auraient joué un rôle en figures aussi foncièrement juives que celles d’Esther et de Mardochée.

Ce qui est certain, c’est que l’histoire d’Esther n’a d’autre intention que de justifier la célébration des Purîm, fêtes religieuses et joyeuses qui paraissent avoir été populaires parmi les Juifs dès le IIIe siècle avant notre ère, et dont par conséquent la lente introduction a dû s’effectuer nombre d’années auparavant. La manière de les célébrer, d’abord par des symboles de tristesse, puis par des festins, des libéralités, des présens qu’on s’envoie d’une famille à l’autre, l’époque de l’année où cette célébration a lieu, tout semble indiquer une vieille fête du printemps qui avait fini par passer dans les mœurs des Juifs établis dans l’empire perse. C’est ainsi qu’au moyen âge la légende complaisante ratifia, en leur donnant un sens catholique, plus d’une fête populaire d’origine païenne, qu’elle sut transformer en les rattachant au souvenir de quelque saint en renom. Le livre d’Esther fut écrit pour favoriser la célébration des Purîm en Palestine, où cette fête ne dut s’introduire qu’après être devenue partie régulière des usages du pays d’exil. C’est plus tard encore, au dernier siècle avant notre ère, qu’elle passa de la Palestine aux Juifs d’Alexandrie, qui ne paraissent pas l’avoir connue auparavant.


V.

Voilà comment les circonstances, mises à profit par quelques hommes de foi et de talent, transformèrent la vieille religion d’Israël, encore si peu réglée au moment de la captivité, en une religion codifiée, systématisée et désormais revêtue de formes indélébiles. Le grand homme de cette période, celui du moins qui en représente le plus exactement l’esprit et les tendances, c’est Esdras, le prêtre-scribe qui réunit dans sa personne les deux élémens dont la combinaison a fait le judaïsme. C’est lui qui introduit, qui impose une loi en très grande partie nouvelle. C’est grâce à lui que l’histoire du passé d’Israël, enfin réunie dans le Pentateuque, revêt ce caractère sacerdotal si visible dans les livres portant les noms de Moïse et de Josué. C’est lui qui dirige le bras du rude Néhémie pour écraser les résistances. C’est lui enfin que la longue lignée des rabbins doit saluer comme son premier ancêtre et son patron. Le souvenir de sa puissante action ne se perdit jamais parmi les Juifs. On l’appela le restaurateur par excellence, le second Moïse, et même la légende voulut que les livres saints d’Israël, anéantis lors de la destruction de Jérusalem et la dispersion du peuple