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Ce n’est pas d’hier que les lecteurs intelligens de la Bible ont été choqués de cette étrange histoire. Plus d’une fois les vieux rabbins secouèrent la tête en songeant au terrible pouvoir des charmes d’Hadassa, et se demandèrent jusqu’à quel point le livre qui en consacrait le souvenir avait droit à sa place dans le recueil sacré. Ce qu’il y a de tragique à la fois et de charmant dans les terreurs de la jeune femme, qui ne peut compter que sur sa beauté pour éviter la mort à laquelle la condamne une inexorable étiquette, ne saurait racheter toutes les invraisemblances, encore moins les horreurs dont ce conte oriental abonde, et il faut avouer que la perfidie à laquelle la reine a recours pour pousser Haman à sa perte, tout en lui faisant bonne mine, ne contribue pas à rehausser l’estime que peut inspirer son caractère. Plus tard, cette perfidie devient une cruauté de vraie tigresse. Maintenant s’imaginer qu’un despote oriental, fùt-il Xerxès, ait pu lancer publiquement l’arrêt de mort d’une population tout entière, qui en bien des lieux était de taille et d’humeur à se défendre hardiment, que, revenu du jour au lendemain de sa lubie, il ait permis, à ceux que la veille il voulait faire tuer, de massacrer à la fois plus de 75,000 de ses propres sujets, ce sont là de ces tours de force dont notre sens historique est désormais incapable. Quel changement dans nos idées à tous depuis le jour où une âme tendre comme celle de Racine pouvait se concentrer sur un tel récit, l’épurer, le dégrossir, puis amplifier ce qui en restait pour en faire tout un drame émouvant, sans que rien nous donne lieu de penser qu’il ait été un seul instant choqué de ce qui nous révolte aujourd’hui! Y a-t-il au moins un noyau historique dans ce roman d’un patriotisme si exalté et si dur? C’est ce qu’il est absolument impossible de savoir. Lors même qu’on croirait pouvoir l’affirmer, on n’en serait pas plus avancé, car on ne parviendrait pas à dégager le fait de tout entourage fictif. L’explication que l’auteur donne du nom de Purim est déjà fort suspecte. On ne connaît point de mot perse analogue signifiant le sort. C’est pourtant au fait, assez insignifiant en lui-même, qu’Haman aurait consulté le sort pour fixer le jour du massacre général des Juifs, que l’auteur du récit rattache l’origine de cette dénomination. On dirait qu’il a inventé cette explication pour les besoins de sa cause, qui était de justifier pour les Juifs scrupuleux la célébration d’une fête déjà passée dans les habitudes populaires, mais dont on ne voyait pas trace dans la loi, et que les puritains repoussaient comme une importation étrangère. Une ingénieuse tentative d’interprétation a voulu retrouver dans les péripéties du roman juif les élémens d’un mythe où le soleil (Esther), la lune (Mardochée) et l’hiver (Haman) joueraient le principal rôle; mais les étymologies auxquelles on a recours sont plus que douteuses,