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sion du vainqueur, de construire un sanctuaire ailleurs qu’à Jérusalem. Les bannis prirent l’habitude de se réunir, probablement le jour du sabbat, pour écouter leurs prophètes, leurs poètes religieux, ceux qui pouvaient leur lire et leur expliquer les lois existantes. Les Juifs revenus au pays de leurs pères n’abandonnèrent pas cette pieuse coutume, et, bien que le temple eût été reconstruit, les synagogues s’élevèrent partout où ils s’établirent. Esdras et les siens devaient favoriser de tout leur pouvoir une institution qui cadrait si bien avec leur but : inculquer au peuple entier la connaissance et l’observation de la loi. Si donc le prêtre trônait au temple, le scribe fut le principal personnage dans la synagogue. Leur alliance prolongée, en suite de leur subordination commune à la loi, fit que le temple et la synagogue purent longtemps coexister sans entreprendre; l’un sur l’autre. La synagogue ne songeait pas à renier son infériorité. Elle s’appuyait sur le temple comme une plante grimpante sur le tronc d’un arbre, mais comme ces plantes grimpantes qui deviennent si vigoureuses que, le jour où le tronc qui les soutient doit tomber, elles continuent de vivre en vertu de leur force propre. La synagogue donna de plus l’essor à la musique religieuse. Un grand nombre de psaumes qui nous ont été conservés remontent à cette époque du second temple. Tantôt un seul chantre, tantôt un chœur les entonnait dans les exercices religieux, et pour le service du temple il y avait toute uns division de chanteurs. Les caravanes de pèlerins, qui se rendaient à Jérusalem aux époques fixées par la loi, chantaient aux stations et parfois tout en cheminant des hymnes appropriées à ce pieux voyage. C’est par là que le judaïsme, menacé de sécheresse par son rigorisme légal, s’imprégnait encore d’une poésie originale dont nous pouvons même aujourd’hui apprécier la saveur.

On voit, par tout ce qui précède, qu’on a eu tort de considérer la période de la captivité et des deux premiers siècles de la restauration comme un temps de stérilité pendant lequel l’esprit juif se borne à reconstituer minutieusement un brillant et glorieux passé. C’est parce qu’on admettait trop implicitement les dates assignées par la tradition aux livres et aux institutions d’Israël qu’on était induit en cette erreur. Depuis qu’une appréciation plus indépendante et plus savante a espacé les documens et les événemens d’une manière plus conforme à la logique de l’histoire, on s’aperçoit qu’en réalité la pensée religieuse n’a pas cessé un seul instant de travailler et de se développer. Là où l’on voyait tout un espace vide séparant les tronçons d’une chaîne brisée, on découvre aujourd’hui de nombreux chaînons, et quand on pense à ce que la captivité a fait du peuple juif en le purifiant, en le façonnant à porter le joug d’une loi amplifiée et détaillée, en le soumettant à un clergé fortement