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sécution, la souffrance, mais aussi que c’est lui qui, en maintenant la tradition sacrée, sauve la masse indifférente ou lâche, et achète ainsi le droit d’opérer la rédemption des autres. La douceur, la résignation, prennent rang parmi les vertus religieuses. Toutefois il n’en est pas fait encore d’application au peuple abhorré dont on voit crouler la puissance, loin de là. Les imprécations contre Babylone alternent avec les bénédictions prononcées sur le peuple enfin parvenu au terme de ses épreuves. Ce qui augmente la sympathie pour Cyrus et ses armées, c’est que les Perses ont une religion presque monothéiste, ennemie des images, bien plus sobre, bien plus morale qu’j la mythologie chaldéenne. Le silence des documens que nous pouvons consulter nous empêche de citer des faits; mais n’est-il pas plus que probable que, dans sa campagne de Chaldée, Cyrus, pour avoir des vivres, dut singulièrement profiter des renseignemens des affidés de ces colonies juives que la politique barbare des rois de Babylone avait semées sur le territoire envahi ? Ils avaient cru annihiler par cette méthode un petit peuple désagréable, habitant au loin vers l’ouest, toujours remuant, impatient du joug, et ils avaient rempli la région centrale de l’empire d’alliés naturels du premier envahisseur qui marcherait contre leur capitale. On aime à constater dans l’histoire ces retours des choses qui montrent combien les conquérans se fourvoient précisément quand ils se croient le plus habiles.

Cyrus, sa conquête achevée, s’occupa des Juifs et leur voulut du bien. Josèphe raconte qu’en leur permettant de retourner dans leur pays il obéit aux prophéties qu’on lui montra, et dont il n’osa contrarier les oracles. Pourtant il dut être moins qu’édifié, s’il en prit connaissance, de l’avenir que ces mêmes prophéties réservaient à son empire comme à tous les autres. Le plus simple est de penser qu’il voulut récompenser le zèle de partisans aussi dévoués, que d’ailleurs, convoitant déjà l’Egypte, cet éternel point de mire des conquérans orientaux, il était bien aise de relever un peuple capable par la suite et selon les circonstances de lui servir de rempart ou d’avant-garde. En 538, l’édit de libération fut promulgué; les Juifs reçurent même la promesse de subsides pour la reconstruction du temple détruit par Nebucadrezar. Plus de 40,000 d’entre eux, conduits par un descendant de David, Zorobabel, et par Josué, fils du dernier grand-prêtre exécuté par ordre du vainqueur chaldéen, prirent le chemin du retour au pays des pères.

Il s’en fallait de beaucoup que ce chiffre représentât la majorité des Juifs. Un grand nombre, nés sur la terre d’exil, étaient habitués à leur position. Pleinement d’accord tant qu’il ne s’agissait que de haïr les Chaldéens et de maintenir entre eux le sentiment de la consanguinité nationale et religieuse, il n’est pas sûr que tous les Juifs