Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 98.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

isolé au milieu de ses compagnons d’infortune. Son influence paraît avoir été aussi faible de son vivant qu’elle fut puissante deux ou trois générations après lui. La restauration, qu’il ne vit pas et qui l’eût bien déçu dans son attente, s’il avait pu en être témoin, ne fut pas dans les premiers temps une œuvre de prêtres; elle s’accomplit plutôt sous la direction des prophètes ou de leurs disciples. C’est peu après que le sacerdotalisme, sorti comme une nécessité de la situation, parvint à la dominer entièrement. Il n’en reste pas moins à Ézéchiel l’honneur d’avoir tenu bon dans une période de découragement général, d’avoir rallumé le flambeau du patriotisme et de la foi, et, quand on a étudié d’un peu près ce rude voyant, dont la parole a quelque chose de massif, de colossal, comme les monumens babyloniens qu’il put contempler, on ne peut se défendre d’une sorte d’admiration respectueuse qui n’est pas toujours de la sympathie, mais qui souvent s’en rapproche.


II.

Le temps marcha, et l’an 561, après un règne glorieux de plus de quarante années, le terrible Nebucadrezar mourut. Son fils, Évil-Mérodac, ne régna que deux ans, et l’ère des révolutions s’ouvrit pour l’empire chaldéen. En 558, Nabonetus, parvenu au trône à la suite d’une conspiration, avait à peine établi son pouvoir, qu’il vit s’approcher l’ennemi destiné à le renverser et à fonder un nouvel empire sur les ruines du sien. Cyrus et ses Médo-Perses s’avançaient en vainqueurs, et après une campagne sanglante et longue, terminée par la prise de Babylone, le grand empire perse fut fait.

Nous avons décrit dans une étude antérieure sur le second Ésaïe la vivacité des vœux que les Juifs exilés formèrent en faveur du nouveau conquérant, qui leur fit l’effet d’un messie suscité tout exprès pour les délivrer[1]. Qu’il nous suffise de rappeler que leurs espérances de restauration, pendant si longtemps illusoires, et qui, sous les démentis ironiques de la réalité, avaient fini par s’alanguir, reprirent avec une ardeur nouvelle, et trouvèrent chez quelques inspirés des accens qui rappelaient les plus beaux jours du prophétisme; on peut même signaler un progrès réel dans l’idée religieuse. Le monothéisme, dans sa lutte permanente et forcée avec le polythéisme des oppresseurs, avait acquis une solidité, une rigueur qu’on ne lui connaissait pas auparavant. Les idoles et les dieux qu’elles représentaient n’étaient plus rien pour les Juifs. Éclairés par l’expérience acquise sur la terre d’exil, les prophètes proclament désormais que « le serviteur de l’Éternel » a pour lot la per-

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1867.